Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/64

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Pour fonder un journal, il fallait d’abord obtenir l’autorisation préalable : le gouvernement ne laissait plus fonder aucun journal sans sa permission. Le ministre de l’Intérieur, mesure inouïe, avait seul le droit de désigner le rédacteur en chef, sur la présentation des propriétaires, et de le destituer. Tout changement dans le personnel, gérant, administrateur, rédacteur, ne pouvait s’opérer qu’avec l’autorisation du même ministre. Le cautionnement, nous l’avons dit, avait été augmenté, le droit de timbre également ; et cette double augmentation rendait désormais difficile la publication de feuilles politiques à bon marche.

Par le même décret de 1852, les journaux se trouvaient placés sous la juridiction administrative. C’était la police correctionnelle qui seule, désormais, à la place du jury, allait juger ou plutôt réprimer les délits de presse. Une seule condamnation encourue dans l’année pour crime commis par la voie de la presse ou deux condamnations pour délits et contraventions, entraînaient de plein droit la suppression du journal. Bien mieux, le gouvernement avait le droit, par mesure de sûreté générale, de supprimer immédiatement un journal ; il suffisait, pour cela, d’un décret spécial du chef de l’État inséré au Bulletin des Lois.

Mais la plus fameuse innovation, c’était le système des avertissements et des suspensions. Si un article avait déplu à l’administration, le journal recevait un avertissement du préfet ; après deux avertissements, une simple décision ministérielle suffisait pour suspendre le journal.

Enfin, le gouvernement peut intervenir jusque dans la facture du journal. Non-seulement il interdit de rendre compte des procès de presse et des séances du Corps législatif ; non-seulement il défend de publier des fausses nouvelles, c’est-à-dire des nouvelles désagréables au gouvernement, mais encore il exige des journaux, de tous les journaux, l’insertion des communiqués officiels.

Voici maintenant comment ses agents usent des armes qu’il leur fournit. De 1852 à 1853, M. de Maupas et les préfets infligèrent quatre-vingt-onze avertissements. Les causes ? « Une critique acerbe du décret du 29 mars 1852 sur les sucres » ; — un doute exprimé sur la véracité d’une note du Moniteur ; — « une appréciation dépassant les bornes d’une critique convenable et modérée ». — un article qui « dépasse les bornes du bon goût » etc.. Un ministre protestant écrit-il dans un journal religieux protestant : « Cinq personnes viennent d’abjurer à Edimbourg les erreurs du catholicisme romain », le préfet du Finistère lui donne un avertissement. Le Phare de la Loire reçoit un avertissement pour la phrase suivante : « L’Empereur a prononcé un discours qui, d’après l’agence Havas, a provoqué à plusieurs reprises les cris de : « Vive l’Empereur ! » : attendu « que cette formule dubitative est inconvenante en présence de l’enthousiasme si éclatant que les paroles de l’Empereur ont excité ». Et l’on pourrait citer des masses d’attendus semblables. C’est là ce que le gouvernement et ses amis appelaient « contenir la