Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/80

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deux métiers sous le contrôle de l’autorité municipale : il savait, pour en avoir profité, ce qu’il en coûtait à un gouvernement de ne pouvoir assurer à chaque citoyen le pain et la viande, et il s’imaginait faussement que la surveillance étroite des bouchers et des boulangers permettait de l’assurer. Depuis, on s’était rendu compte de l’inefficacité de la surveillance. Le Second Empire s’efforça par une réforme habile de mériter les sympathies du petit commerce, tout en apaisant les inquiétudes de la classe ouvrière. Pour la boucherie, le décret du 24 lévrier 1858 supprima la réglementation et le monopole, et déclara libre la profession de boucher à Paris, en la soumettant seulement aux règles de la salubrité publique. Le gouvernement n’attendait pas de la concurrence nouvelle que le décret allait faire naître une diminution notable du prix de la viande ; mais, comme l’indiquait Rouher dans le rapport annexé au décret, il tenait tout à la fois à supprimer le privilège, l’exception, et à « affranchir l’administration de la responsabilité pleine de périls que faisait peser sur elle un privilège, sujet à abus, institué par elle et dont elle n’était pas maîtresse de régler l’usage ».

La boulangerie, elle, dut attendre plus longtemps. Le souvenir des disettes récentes était vif. Et la question du prix du pain préoccupait vivement le gouvernement impérial. A aucun prix, il n’aurait voulu être un gouvernement de pain cher. Et les procureurs généraux lui rappelaient constamment dans leurs rapports, que les récoltes étaient mauvaises, et que les démagogues en accusaient l’Empire. On réglementa donc encore, mais avec habileté. A Paris, on créa la caisse de service pour la boulangerie (27 décembre 1853. Le mécanisme en était simple : pendant les temps de disette, le pain était maintenu au prix de 40 centimes le kilogramme, la caisse payant aux boulangers l’excédent de leurs dépenses ; pendant les temps d’abondance, le prix de 40 centimes était maintenu, mais les boulangers remboursaient la caisse. De 1853 jusque vers le milieu de 1856, la caisse dut avancer 53 millions et demi ; de 1856 à 1863, elle liquida son passif. Mais ce mécanisme ingénieux était fort coûteux : les sommes utilement employées coûtèrent 30 0/0 de frais. En outre, pour le faire fonctionner, il fallait que la caisse fût seule chargée de « tous paiements de pains et farines, sans aucune exception » ; et pour que le contrôle fût possible, on fut amené à limiter en banlieue, puis à Paris même, le nombre des fonds. La situation créée par ces règlements était lourde aux boulangers : les querelles, que cherchèrent les pâtissiers à ceux d’entre eux qui faisaient des gâteaux, démontrèrent une fois de plus qu’il fallait inaugurer un nouveau régime. Le préfet de Paris, Haussmann, rêvait, lui, de substituer à toutes les boulangeries quelques grandes manutentions municipales. Dès 1857, le Conseil d’État fut saisi de la question. Il fallut attendre le 22 Juin 1863, pour qu’elle fût tranchée. Elle le fut dans le sens de la liberté. Mais la caisse de compensation subsista, alimentée désormais par un droit d’entrée sur les farines ; et l’autorité municipale conserva dans toutes les communes le droit de taxer le pain.