Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/100

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l’accord est facile. Entre le « danger russe » et le « danger allemand » il y a un lien : c’est l’unité d’intérêts existant entre la Russie et la Prusse. Que la Prusse entreprenne sur le Rhin et sur le Zuydersée, cela est indifférent à la Russie pourvu qu’elle soit libre sur le Danube et sur le Bosphore. Que la Russie entreprenne en Orient, cela est indifférent à la Prusse pourvu qu’elle soit libre sur le Rhin. « En présence de cette situation, les hommes les plus sagaces, les plus occupés des affaires de l’Europe s’adressent cette question, qui est peut-être résolue pour le gouvernement : a-t-il un traité d’alliance entre la Russie et la Prusse ? (Mouvement.) Permettez, messieurs, je vais répondre… Pour moi, je n’en sais rien : mais ce que je sais, et c’est ce qu’il y a de plus grave, c’est qu’il y a unité d’intérêts entre les deux puissances et que la véritable alliance c’est l’unité d’intérêts. »

Il est probable que M. Thiers forçait un peu à ce moment l’intimité de Berlin et de Saint-Pétersbourg, De même que M. de Bismarck entretenait les difficultés italiennes pour les exploiter à l’occasion, mais sans s’engager à fond, se réservant ainsi des possibilités multiples, de même il caressait les ambitions de la Russie, mais sans s’y livrer, de façon à faire mieux sentir aux Russes le prix de son concours, de façon aussi à ne pas rompre trop tôt avec l’Autriche et à ne pas inquiéter l’Angleterre. Benedetti, dans ses rapports substantiels et pénétrants, marque bien la double politique de M. de Bismarck avec la Russie ; il s’engage assez envers elle pour obtenir une communauté d’action constante, et se ménage assez pour ne pas obliger l’Autriche et l’Angleterre à une déclaration d’hostilité. Il écrit de Berlin, le 5 janvier 1868, qu’il paraît de plus en plus probable qu’il a été pris des arrangements éventuels entre les deux gouvernements du roi Guillaume et de l’Empereur Alexandre. J’en ai, pour ma part, trouvé la démonstration permanente dans la résolution bien arrêtée, et qui n’a jamais varié, du cabinet de Berlin de préparer l’union allemande en attendant d’y pouvoir substituer l’unité à son profit exclusif, sans s’en laisser détourner un seul instant par l’éventualité d’un conflit avec la France. J’en ai également vu la preuve dans le soin avec lequel M. de Bismarck évite de s’expliquer sur la question d’Orient. Quand on l’interroge, il répond qu’il ne lit jamais la correspondance du ministre du Roi à Constantinople, et, Votre Excellence n’aura pas oublié, il s’est toujours prêté aux vues du prince Gortschakoff. Il est persuadé sans doute que d’autres puissances ont un intérêt de premier ordre à soustraire l’Empire ottoman aux convoitises de la Russie, et il leur en abandonne le soin ; il sait d’ailleurs que rien ne peut s’y accomplir définitivement sans le concours ou l’adhésion de l’Allemagne, si l’Allemagne est unie et forte : il croit donc qu’il peut, quant à présent et sans péril, aiguiser lui-même l’ambition du cabinet de Saint-Pétersbourg, pourvu qu’il obtienne en retour de cette condescendance une abstention bienveillante dans tout ce qu’il entreprend en Allemagne. Il y trouve d’ailleurs un avantage immédiat, c’est d’inquiéter l’Autriche par la