Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/146

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l’unité d’une part, les préoccupations de la catholicité de l’autre et ramener cette question immense qui mettait en jeu les passions les plus vives d’une jeune nation et le souci le plus vaste du vieil univers à un problème de droit constitutionnel débattu dans les frontières de l’État romain, c’était se placer hors de l’histoire, hors de la vie, hors de la réalité… Quelle base historique restait donc à la souveraineté temporelle du pape si elle n’apparaissait plus comme la garantie de l’indépendance du sacerdoce ? Dire que le pouvoir temporel du pape serait légitime s’il administrait selon des vues libérales, et illégitime s’il administrait despotiquement, c’était ruiner en fait comme en droit le pouvoir temporel, mais sans l’avouer expressément ; c’était entrer à Rome non en vertu de la force directe de la Révolution, mais par un circuit de casuistique libérale. Aussi bien, il laisse échapper que la papauté est perdue si elle ne se transforme pas, et qu’il est bien difficile qu’elle se transforme.

« Après avoir examiné la convention dans son ensemble, je recherche ses conséquences. Que produira-t-elle ? Sauvera-t-elle le pouvoir temporel, ou bien le perdra-t-elle ? Je n’en sais rien. (Interruptions prolongées.)

« Un membre. — C’est pourtant la question !

« Un autre membre. — Vous devriez le savoir !

« Je n’en sais rien… (Nouvelle interruption.) Cela dépendra de la bonne ou de la mauvaise conduite du gouvernement du pape… (Rumeurs confuses.) Si le pape se conduit selon les règles imposées à tous les gouvernements civilisés du XIXe siècle, s’il donne à son peuple les satisfactions qu’il a le droit d’exiger, s’il lui concède les libertés nécessaires, le pouvoir temporel pourra durer. Mais si le pape s’obstine dans une résistance qui dure déjà depuis plus de dix-sept ans, s’il se refuse aux conseils qui lui viennent non seulement des libéraux comme M. Thiers, mais des catholiques comme M. de Montalembert ; si, au lieu d’accueillir les prières de ses enfants pieux et dévoués, il leur répond par des actes comme l’Encyclique, qui déconcertent toutes les espérances et troublent toutes les consciences, dans ce cas, le résultat de la convention du 15 septembre sera tôt ou tard la chute du pouvoir temporel, et alors, quant à moi, j’applaudirai. »

C’était bien, en fait, l’abandon, la condamnation du pouvoir temporel. Car quelle chance y avait-il que le pape désavouât et retirât le Syllabus lancé avec tant d’éclat ? D’ailleurs, en quoi les événements de Rome, ramenés à ces proportions, pouvaient-ils désormais intéresser la France ? Elle n’avait pas plus de titre à intervenir dans les choses de l’État romain qu’elle n’en aurait eu à intervenir dans les choses du duché de Modène. Et même si l’Italie faisait violence à la puissance temporelle du pape, comment la France, qui proclamait le principe de non-intervention, aurait-elle pu s’y opposer du jour où elle ne pourrait plus invoquer les intérêts du catholicisme ? Encore une fois, par un détour bizarre et un peu inquiétant, M. Émile Ollivier ruinait le pouvoir temporel, et c’est bien vers la grande unité italienne, comme vers la grande unité allemande,