Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/149

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Lorsque les corbeaux auront cessé de voler autour de la montagne, il ressuscitera, il suspendra son bouclier à un arbre desséché, et l’arbre commencera à bourgeonner et à verdir, et un meilleur temps commencera pour l’Allemagne.

« Aucun observateur sérieux ne s’est mépris sur ce mouvement (Pitt, Chateaubriand, Quinet) ; mais une foule de roitelets étaient là aux aguets. Que fit alors le peuple allemand ? ce qu’avait fait le peuple italien dans une situation pareille. Ne pouvant réaliser l’unité dans le fait, il la réalisa dans l’idéal ; ne pouvant s’unir en politique, il s’unit dans la littérature et dans l’art. De grands écrivains, Lessing, Schiller, Gœthe, Herder, lui construisirent sur les nuages de la fantaisie une patrie abstraite, et ils la firent si belle, si lumineuse et si touchante qu’à la contempler tous oublièrent les misères du présent et se mirent à aimer, à servir, à chanter cette création de leurs larmes et de leurs espérances. Ainsi autrefois l’Italie s’oublia aux divines consolations de Dante, d’Arioste, de Pétrarque, aux enchantements de Raphaël, de Michel-Ange, de Cimarosa et de Rossini.

« Cependant, il vint un moment où les calamités furent si dures que ce peuple qui rêvait, les yeux levés en haut, regarda autour de lui. Partout il vit la désunion, la petitesse, l’obstacle et les haies qui séparent dans le champ qui devait être uni. Alors il quitta ses livres et ses poètes ; il appela Gœthe un païen et se mit à rechercher comment il pouvait accommoder mieux sa patrie terrestre, et ceux qui eussent été des philosophes, des théologiens et des poètes quelques années auparavant, devinrent des historiens, des économistes, des publicistes, des savants.

« L’Allemagne est lente à se mouvoir ; mais, dès qu’elle entre dans une voie, elle s’y avance jusqu’au bout avec une ténacité indomptable. De ce jour, elle a aimé ceux qui ont favorisé sa passion et elle a détesté ceux qui ont paru la contrarier. L’Autriche n’a en rien contribué à la création de la littérature nationale, ni aux premiers essais d’union matérielle : l’Allemagne l’a détestée. La Prusse lui a créé un champ d’asile pour ses penseurs, une école militaire pour ses soldats ; elle lui a donné une certaine unité matérielle par le Zollverein : aussi l’Allemagne l’a-t-elle aimée jusqu’au point d’en tout subir. Et lorsque réunie à Francfort, dans l’église Saint-Paul, sous les plis du drapeau noir, rouge et or, elle a pu prononcer une parole libre, elle a dit : L’Autriche hors de la Confédération ! Le roi de Prusse empereur d’Allemagne ! Ne contrarions pas un tel mouvement. Notre grandeur nous a paru toujours identique à celle de l’humanité ; ne manquons pas à cette belle tradition, et, chaque fois qu’une nation surgit dans le monde, au lieu de lui faire obstacle et de la maudire, envoyons-lui, par nos messagers, la myrrhe et l’encens.

«… Oui, Messieurs, amitié avec la France, le jour où la France ne menacera pas. Comment en serait-il autrement ?… Sans doute, nous avons été quelquefois funestes à l’Allemagne ; mais que de bien ne lui avons-nous pas fait ?