Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prochaine. » Oui, si la politique française s’était inspirée largement de la pensée de M. Émile Ollivier, si la France avait laissé s’accomplir la pleine unité italienne sans mettre son épée au service du pouvoir temporel, si elle avait, sans menace, sans calcul sournois, laissé s’accomplir la pleine unité allemande, quel risque aurait-elle couru ? et quelle atteinte aurait subi sa vraie grandeur ?

Ce qui donne à ce discours de M. Émile Ollivier une sorte d’importance historique, ou ce qui aurait pu du moins la lui donner, c’est qu’il y avait chance dès lors pour qu’il devînt, dans l’Empire transformé, le chef de la politique. L’empire, à ce moment, hésitait sur ses voies. Affaibli par la désastreuse expédition du Mexique, par la diminution de prestige qu’il avait subie après Sadowa aux yeux de ceux qui s’éblouissaient jusque là de la toute puissance napoléonienne, pressé par une opposition tous les jours plus nombreuse, plus ardente et plus hardie, il se demandait s’il ne devait pas ramener à lui la confiance de la nation en faisant quelques concessions à l’esprit de liberté. Déjà, dans toute la gloire de sa campagne d’Italie, il avait, par le décret du 24 novembre 1860, accordé au Corps législatif, le droit de réponse à l’Empereur par la discussion de l’adresse. Dans les jours tristes et bas de la fin de 1866, il avait songea faire un pas de plus, et comme M. Émile Ollivier proclamait à tout instant qu’il ne voulait pas faire à la dynastie une opposition irréconciliable, qu’il se rallierait à elle le jour où elle donnerait la liberté, l’Empereur l’avait fait appeler secrètement aux Tuileries ; après cet entretien, il avait, par une lettre publique du 19 janvier adressée à ses ministres, fait connaître sa volonté d’accorder des libertés plus larges, notamment le droit d’interpellation et une plus grande liberté de la presse. Il est vrai qu’il avait confié l’exécution de ces mesures aux partisans et aux avocats de l’Empire autoritaire ; et particulièrement à M. Rouher. Mais s’il n’avait pas osé offrir encore à M. Émile Ollivier un ministère, du moins avait-il écrit à celui-ci qu’il comptait sur son dévouement et qu’il se réservait d’y faire appel quand l’heure serait venue. Cette lettre impériale, M. Émile Ollivier ne l’avait pas publiée encore, et la France ne savait pas exactement à quel degré de confiance il était parvenu dans l’esprit du souverain.

On pouvait même croire, à voir comment son idée d’ « empire libéral » avait été livrée à des mains ennemies qui la tournaient en caricature, qu’il n’était qu’une pauvre dupe dont on avait excité la vanité pour le compromettre et dont on exploitait les formules libérales pour mieux préparer un rajeunissement de l’absolutisme. En fait, il était pour Napoléon III une réserve, et au moment où il définissait ainsi la politique de la France à l’égard de l’Allemagne, M. Émile Ollivier avait le droit de considérer qu’il était, pour un avenir plus ou moins prochain, un ministre possible. Ainsi, à la fin de 1867, un grand fait se produisait dans la conscience française. L’opposition se décomposait en deux fractions, l’une intransigeante et irréconciliable, qui croyait que le renversement de l’Empire était la condition absolue de l’avènement de la liberté, l’autre