Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/156

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est aux Romains » : puis, avec d’équivoques circulaires de M. Drouyn de Lhuys, il semble admettre, à titre d’hypothèse, que Rome « appartient aux catholiques ». Au dedans, « le décret du 24 novembre, en nous donnant le droit de discuter une adresse, en ramenant dans cette assemblée des ministres orateurs, opère une innovation considérable et commence la responsabilité. Désormais, nous pouvons savoir, nous pouvons questionner, nous pouvons critiquer : le premier degré de responsabilité, qui est la discussion, est conquis » ; mais l’amnistie est incomplète : la presse est toujours soumise au régime le plus arbitraire ; c’est partout un mélange informe de despotisme et de vague liberté à peine ébauchée, et M. Émile Ollivier résume, en une vive formule, cette phase trouble : « L’Empire a été d’abord un gouvernement absolu ; il est aujourd’hui un gouvernement contradictoire. Je lui demande de devenir un gouvernement régulier, un gouvernement constitutionnel. »

Oui, mais là était le grand saut. M. Émile Ollivier presse l’Empire de se décider. Qu’attend-il donc ? Jamais il ne sera plus fort. Jamais il ne lui sera pas facile de donner la liberté sans s’exposer aux reproches de faiblesse, sans paraitre capituler devant l’anarchie. Ce serait pour le gouvernement impérial la force suprême, la certitude définitive. « Tous les souverains (en France) se sont préoccupés de défendre leur dynastie, et leur dynastie a été emportée ; s’ils s’étaient préoccupés de fonder la liberté, la liberté les aurait grandis et affermis. »

C’est d’une vue assez haute et d’un ton assez ferme qu’il fait appel au pays, qui va bientôt procéder au renouvellement du Corps législatif par des élections générales : « Je termine, Messieurs, et ma dernière parole sera un retour triste sur les efforts infructueux que nous avons faits depuis six ans dans cette assemblée pour défendre les principes auxquels, nous en sommes convaincus, la France doit revenir un jour. Nous espérons que les élections nouvelles marqueront un pas décisif en avant. Nous ne demandons pas au pays, après avoir tout supporté, de ne rien supporter du tout : une politique de cette nature ne servirait ni à la liberté ni au progrès ; nous ne le provoquons pas à une œuvre de conspiration, mais à une œuvre d’émancipation constitutionnelle ; nous l’engageons à bien se rappeler que, quand on a des moyens légaux à sa disposition, il y a quelque chose de plus digne et de plus sûr que d’attendre la liberté, c’est de la prendre ; nous lui conseillons de ne pas oublier que si s’opposer toujours est un acte de mauvaise foi, approuver quand même est une erreur, une faiblesse, un mauvais calcul.

« Ainsi, ni opposition systématique, ni approbation systématique, mais l’indépendance et la justice pour être dignes de la liberté. »

Sans doute l’homme qui tenait ce langage n’était ni un vil courtisan, ni un intrigant sans idée, et, plus tard, quand on lui reprochera d’avoir trompé le suffrage universel, il pourra répondre qu’avant les élections de 1863, et pendant deux années, il avait formulé sa conception politique et