Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/168

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traités militaires avec le Sud pour des guerres de conquête : que prendrait-il ? la Pologne, la Bavière, la Belgique, l’Alsace ?

Il semblait voir des difficultés et des périls en toutes ces annexions. Et toujours, cependant, c’est dans l’hypothèse d’une alliance de la France et de l’Autriche qu’il raisonne.

Le prince de Hohenlohe note encore, à la date du 21 décembre 1868 : « Frœbel a eu avec Bismarck une conversation d’une heure. Bismarck lui dit qu’il aurait à l’égard de l’Allemagne du Sud une attitude passive. L’évolution de l’Allemagne pouvait bien durer encore trente ans : c’était un grand mouvement qui avait besoin de temps. C’est du Parlement douanier que Bismarck se promet le développement des choses allemandes. Il parle aussi de l’année 1866 et dit que s’il avait pu alors unir à la Prusse l’Allemagne du Sud et l’Autriche allemande, il ne l’aurait pas fait, car il aurait rassemblé alors des éléments trop hétérogènes, et il n’aurait pu créer aucune organisation durable. » Était-il tout à fait sincère ? Renonçait-il à mettre lui-même le sceau à l’unité allemande, et confiait-il à l’avenir le germe robuste qu’il avait semé ? Laisserait-il son œuvre exposée pendant un si long temps à toutes les surprises ? En tout cas il semble bien qu’il n’avait pas à cette date le parti pris absolu de la guerre contre la France. Un an plus tard, le 6 juin 1869, M. de Moltke s’entretenait avec M. de Hohenlohe des choses de l’Allemagne du Sud : « Il ne méconnaissait pas ce que nous avions fait jusque-là, mais il remarquait qu’il était possible encore que dans une guerre avec l’étranger nous suivions la politique de « l’arriver trop tard ». Nous n’étions pas prêts, et nous suivions cette politique sans nous rendre précisément coupables d’une rupture de contrat… Parlant de la guerre, il dit : « La France ne commencera pas la guerre si l’Autriche ne marche point avec elle ; les Français ne seraient point assez stupides pour cela. Ils savent bien en effet qu’il ne sont pas à la hauteur de la Prusse, s’ils sont seuls à l’attaquer, et l’Autriche en ce moment n’est pas prête. Si la guerre avec la France et l’Autriche éclate, la Prusse ne se laisserait pas troubler dans son plan de campagne. On jettera contre la France toutes les forces de combat, et les Autrichiens pourront faire pendant ce temps tout ce qu’ils voudront, dûssent-ils marcher sur Berlin. »

Ce n’était pas une boutade. Les mémoires militaires préparés par M. de Moltke en vue de la guerre dans les années 1868, 1869 et 1870 sont tout à fait conformes à ce plan. Le chef de l’État-Major ne voulait pas diviser les forces prussiennes. Il porterait d’abord tout son effort sur la France, même si pendant ce temps l’armée autrichienne marchait sur Berlin et occupait la capitale prussienne, rien ne serait perdu. La Prusse aurait accablé en quelques jours les armées de Napoléon III ; le régime impérial déjà miné par l’opposition croulerait. Au gouvernement révolutionnaire nouveau, la Prusse ne demanderait aucun sacrifice ni d’argent ni de territoire ; elle lui demanderait seulement de laisser s’accomplir l’unité allemande et de permettre le châtiment de l’Autriche.