Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/206

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de l’infériorité de son armée, il hésitait à risquer la dynastie à demi disloquée sur le sombre abîme. Il semble bien que son ambition se bornait alors à obtenir le retrait de la candidature Hohenzollern. Au témoignage de M. Nipra, l’empereur dit, le 10 juillet, à M. Vimercati, un des agents de Victor-Emmanuel : « J’attends la réponse de la Prusse. Si on renonce à la candidature, sous n’importe quelle forme, il n’y aura point de guerre. » C’est à quoi travaillaient les puissances de l’Europe. Elles conseillaient à Prim de ne pas persister, au roi de Prusse d’obtenir de son cousin le désistement, et à l’Empereur Napoléon de s’en contenter. Si M. Émile Ollivier avait su ce qu’il voulait et s’il l’avait dit, s’il avait déclare nettement que le retrait de la candidature Hohenzollern suffisait, que la France n’avait pas d’autre exigence et d’autre but, l’Empereur aurait, sans aucun doute, donné son assentiment formel. Et la menace d’une dissolution du Corps législatif, prononcée dans l’intérêt de la paix comme de la liberté, aurait apaisé les clameurs de la meute de guerre. Soit que M. Émile Ollivier, obstiné à concilier les contradictoires, l’Empire et la liberté, eût perdu à ce jeu la netteté d’esprit qui convient aux grandes crises, soit qu’il voulût se ménager en toute hypothèse le moyen de rester au pouvoir, ou encore qu’il se flattât de capter au profit de sa politique informe et flottante le bénéfice de la victoire et de dorer cette nuée sous ce rayon, il laissa faire, et M. de Gramont, livré à lui-même, multiplia les témérités. Il obséda M. Benedetti de dépêches impatientes et impérieuses, où il commence à glisser le germe encore indistinct de revendications ultérieures.

Le 10 juillet, à une heure vingt du soir, il télégraphia : « Il faut employer tous vos efforts pour obtenir une réponse décisive ; nous ne pouvons pas attendre, sous peine d’être devancés par la Prusse dans ces préparatifs. La journée ne peut pas se passer sans que nous commencions. Je sais de source certaine qu’à Madrid le prince régent désire la renonciation du prince de Hohenzollern. » Cinq minutes après, et comme si un grave événement s’était produit dans ce bref intervalle, nouveau télégramme : « Écrivez-moi une dépêche que je puisse lire aux Chambres et publier, dans laquelle vous démontrerez que le Roi a connu et autorisé l’acceptation du prince de Hohenzollern, et dites surtout qu’il vous a demandé de se concerter avec le prince avant de vous faire connaître ses résolutions. » Ce qui hante le noble duc, c’est bien l’idée de commettre à fond le roi de Prusse dans l’affaire. Le même jour, 10 juillet, troisième dépêche, troisième coup d’aiguillon : « Je vous envoie le comte Daru, en vous priant de le faire repartir immédiatement, car nous ne pouvons plus attendre. Pendant que le Roi vous remet d’heure en heure, sous prétexte de se concerter avec le prince de Hohenzollern, on rappelle en Prusse les hommes en congé, et on gagne sur nous un temps précieux. À aucun prix, nous ne pouvons donner à nos adversaires, aujourd’hui, ces mêmes avantages qui ont été, en 1866, si funestes à l’Autriche. Et d’ailleurs, je vous le dis nettement, l’opinion publique s’enflamme et va nous devancer. Il nous faut