Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/244

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et pour avoir toutes les chances, il faut avoir avec soi la force morale : cette force morale on ne l’aura pleinement que si le motif allégué pour la guerre obtient l’assentiment et de la France et de l’Europe. Il faut donc qu’il soit grave. Pouvez-vous faire la preuve que la France a été gravement, profondément offensée ?

C’est bien là, d’un bout à l’autre de la séance, la pensée, c’est bien la tactique de Gambetta.

Dans l’après-midi, quand M. Thiers est à la tribune, et quand il parle de ces « réparations » qu’il désire lui aussi, M. Gambetta lui crie : « Très bien ! » Dans l’après-midi encore, il interrompt M. Émile Ollivier pour bien préciser en quel sens, en quel esprit il demande la communication des dépêches à la Chambre. « C’est une question d’honneur : Il fallait que nous sachions en quels termes on a osé parler à la France. » Ainsi cette demande semble plus dirigée contre le gouvernement prussien que contre le gouvernement de l’Empire. À la séance du soir, il semble qu’il s’isole au-dessus de tous les partis, mais pour frapper la Prusse de plus haut. « Il me semble que dans la séance qui a eu lieu aujourd’hui, les uns et les autres nous nous sommes départis du sang-froid et de la mesure. »

« Et cela signifie sans doute que, dans sa passion pour la paix, la gauche risque d’humilier la France, et cela signifie aussi que dans la légitime mais aveugle révolte de son instinct national, la majorité risque de mal choisir l’occasion du combat, Je crois que la force morale est tout dans le monde. Je le dis à regret, aujourd’hui, dans cette enceinte, il y a eu des mouvements de patriotisme, il y a eu l’effervescence d’un sentiment longtemps contenu, longtemps maté par une politique extérieure que je déplore, que je déteste, que je réparerais si cela était en mon pouvoir ; mais un sentiment tardif qui vous oblige, Messieurs, à donner devant l’Europe les raisons du changement de votre conduite. »

Il ne faut pas qu’il y ait disproportion entre la grandeur nationale qu’aura la guerre et la futilité ou la médiocrité des raisons particulières qui lui serviront de prétexte. Mais quelle ambiguïté savante et redoutable dans les paroles de l’orateur, si étonnamment maître de lui-même dans ce désordre et si calculateur dans cette tempête ! À la façon dont il insiste sur la grandeur nationale de la guerre imminente, on ne sait, on ne peut savoir s’il en amplifie le sens pour en détourner les esprits par le contraste de l’immensité de l’événement et de la petitesse des motifs allégués, ou pour assurer d’avance, lui républicain, à son idée, à son parti et à lui-même le bénéfice d’un grand mouvement national auquel, mieux que tout autre et de plus haut, il aura donné toute sa signification et toute sa valeur ?

S’adressant à la majorité, il lui dit qu’il connaît bien sa vraie pensée ; qu’au fond, elle a toujours condamné la politique de faiblesse, qu’elle en a souffert, et que c’est le soulèvement de ses colères patriotiques qui, sans doute, va