Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/246

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déchaîner la guerre et lui donner toute son ampleur. Il la prend elle-même à témoin du malaise qu’elle ressentait quand M. Émile Ollivier rappelait son long passé pacifique et comment il s’était obstiné, dans l’affaire des duchés, dans la crise de Sadowa, dans l’affaire du Luxembourg, dans celle du Saint-Gothard. à la politique de défaillance. Non, cette politique, la majorité du Corps législatif ne l’avait jamais approuvée du fond de l’âme : un sentiment plus fier protestait sourdement en elle et l’avertissait du péril. Par là, Gambetta se conciliait la sympathie de l’Assemblée en se faisant, pour ainsi dire, l’interprète rétrospectif des audaces françaises qu’elle n’avait pu avouer tout haut, mais dont elle reconnaissait le souffle dans une parole plus hardie et plus libre. Il lui persuadait, en l’élevant au-dessus d’elle-même, qu’il l’aidait seulement à retrouver son vrai niveau, et il pouvait espérer qu’ayant une conscience plus hautaine de la France, elle aurait honte du misérable prétexte qui rapetisserait le vaste conflit : mieux vaudrait sans doute l’ajourner que l’abaisser. Et, en même temps, il rappelait d’un mot au Corps législatif que, s’il avait eu le sentiment profond du véritable intérêt français, il n’avait su ni le dégager, ni l’affirmer ; la politique qu’il réprouvait, il la subissait cependant par excès de confiance en la sagesse d’un pouvoir qui, par toutes ses combinaisons, égarait l’esprit public, que ce fût Rouher, que ce fût Émile Ollivier, que ce fût l’Empire autoritaire, que ce fût l’Empire libéral, un voile de complaisance équivoque avait été jeté sur les humiliations de la France.

Si la majorité changeait maintenant, non pas de pensée intime, mais d’attitude, n’était-elle pas doublement tenue de justifier, par de fortes raisons, le revirement de son apparente politique ? L’outrage incertain d’une communication diplomatique déplaisante y pouvait-il suffire ? et si la France, trop longtemps pliée en une humble attitude, voulait se relever enfin, ne fallait-il pas qu’elle put se redresser de toute sa hauteur et mettre, dans la déclaration de ses griefs, toute la générosité de sa colère et toute l’étendue de son espérance ?

Ainsi, par l’âpre chemin de la fierté patriotique, Gambetta ramenait l’Assemblée vers la paix, et si elle cédait malgré tout au mouvement de la guerre, à l’emportement de la passion nationale, c’est à celui qui, tout en contenant et avertissant cette passion, lui aurait révélé toute sa noblesse, qu’irait sans doute la sympathie des événements. Ce qu’ils lui apporteraient de force, il le communiquerait à la République, qui se confondait pour lui avec le sentiment immédiat qu’il avait de sa propre puissance vitale. Au demeurant, il s’ingéniait à ne pas se lier, même aux hypothèses pour lesquelles il marquait le plus de complaisance ; sans se mettre hors des événements, obscurs et redoutables, il planait au-dessus, et, tout en gardant communication avec les pensées et les passions des hommes, il réservait pour l’avenir la liberté de sa critique et de son action.

« Quelqu’un peut-il contester que, le jour où vos régiments auront passé le Rhin (car il ne doute pas qu’ils le passent), ce sera le démenti sanglant de