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CHAPITRE III

CAUSES DE LA DÉFAITE DE LA FRANCE : L’AVENIR

Si la France a succombé, si elle n’a pu maintenir, dans cette grande épreuve, l’intégrité de son sol et de sa personnalité historique, c’est qu’elle n’a eu à son service ni une suffisante force d’organisation gouvernementale ni une suffisante force d’élan révolutionnaire. L’Empire qui se disait et qui se croyait sans doute un pouvoir fort était le plus débile des régimes, car il n’avait ni la puissance d’une grande tradition historique, comme était celle de l’ancienne monarchie française, ni la puissance nouvelle de la démocratie qu’il invoquait, mais en l’énervant. Cette débilité incohérente, nous l’avons marquée dans la diplomatie impériale. Elle se retrouve au même degré dans l’organisation militaire de l’Empire. M. Thiers, obstiné à défendre les armées réduites avec service à long terme a prétendu que les terribles défaites françaises de 1870 étaient imputables, non à l’insuffisance de l’organisme militaire, mais à une série de fautes de tactique qui auraient pu être évitées.

C’est d’abord la dissémination des troupes françaises sur une ligne beaucoup trop étendue. C’est ensuite, après les premiers revers, l’erreur de Bazaine, s’attardant aux alentours de Metz, au lieu de hâter sa marche de retraite vers Châlons, où il aurait rejoint les restes de l’armée de Mac-Mahon. C’est enfin la funeste aberration de l’Empereur et de Mac-Mahon, allant vers Sedan, au lieu de se replier sur Paris et de couvrir la capitale par les libres et rapides mouvements d’une grande armée. Et il est certain que même l’armée de l’Empire, si insuffisante qu’elle fût en nombre et en organisation, aurait pu bien mieux soutenir la lutte si elle avait été dirigée par une pensée persévérante et ferme, et par une volonté désintéressée. Elle fut livrée à la conduite de chefs incapables ou médiocres et aux combinaisons égoïstes d’une dynastie aux abois.

Mais si le vice politique et moral du régime fut la cause dominante du désastre, ces chances funestes furent aggravées d’emblée par l’insuffisance technique du système militaire. Le mode de recrutement était déplorable. Par peur de la nation, l’Empire éloignait le plus possible les soldats de leur région d’origine. De là, au jour de la mobilisation, des lenteurs, des complications qui démoralisèrent l’armée, et qui lui rendirent impossible toute tentative, toute pensée d’offensive. Le désordre des premières semaines fut inexprimable. L’insuffisance des effectifs disponibles, qui ne dépassaient guère la moitié des effectifs allemands, a rendu à peu près irréparables les défaites premières. Mac-Mahon aurait pu être vaincu, il n’aurait pas sans doute été écrasé à Reichshoffen, s’il avait disposé de forces plus considérables. Les Allemands, malgré leur audace, n’auraient pas osé pousser aussi hardiment qu’ils l’ont