Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/256

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déclarations contre la guerre et les armées permanentes, une forte organisation de défense nationale. Quand un pouvoir s’est constitué par le coup d’État, quand il se maintient par un déploiement continu d’autorité, quand il prétend sauver la nation de l’anarchie des volontés et de la décomposition parlementaire, il n’est pas fondé à rejeter la responsabilité des événements sur la faible opposition qui, à travers les violences et les fraudes de la candidature officielle, a pu parvenir jusqu’à un Corps législatif domestiqué et impuissant.

D’ailleurs, le parti républicain ne désarmait pas la nation. Il demandait la liberté politique, le contrôle efficace du pays sur les affaires extérieures comme sur les affaires intérieures. Il disait que, jusque-là, donner des soldats à l’Empire, c’était les donner à la tyrannie et l’esprit d’aventure. Assurer la paix par la liberté, et constituer la défense de la nation par une armée vraiment populaire, par une vaste organisation de milices nationales qui aurait mis tous les citoyens en état de manier le fusil, c’était le programme des républicains. Ils ne pouvaient pas en avoir d’autre. Et c’est d’ensemble qu’il faut le juger.

Mais puisque l’Empire n’adoptait pas cette politique générale de l’opposition républicaine, c’était à lui d’imposer à sa majorité ses plans, ses systèmes d’organisation. Celui de Niel était bien hésitant encore et bien composite, il n’aurait pu, même adopté intégralement, accroître que de peu et à long terme la force de l’armée. L’Empire n’osa pas le soutenir à fond. Les députés officiels, tout en renonçant aux libertés réelles et au contrôle effectif qui auraient pu sauver la paix, ne parlaient que de paix. L’Empire, qui les investissait, qui lui donnait leur mandat tout préparé dans les cabinets préfectoraux, ne sut pas leur demander un acte de courage. Lui-même ne disposait plus de toute la force de terreur et de tout le prestige violent qui avait suivi le coup d’État, et ne pouvait pas chercher franchement une force nouvelle dans la démocratie et la liberté ; il n’avait pas assez d’autorité morale pour demander à la nation un sacrifice. Ayant brutalisé ce qu’il y a de plus haut dans les consciences, il était obligé de ménager ce qu’il y a de plus médiocre dans les instincts. Il n’eut que des velléités, point de volonté ; et il se jeta en pleine tempête, lui et la France, sur une barque que lui-même savait disloquée et tarée. Depuis des années, l’Empire n’était plus un gouvernement : c’était une aventure en liquidation.

Mais pas plus qu’elle n’eut vraiment à son service, en cette crise terrible, une force gouvernementale, la France n’eut une suffisante force révolutionnaire. Au moment où éclata la guerre, l’idée républicaine n’était encore ni assez étendue, ni assez passionnée dans le pays pour pouvoir se saisir à temps des événements et imprimer à la nation un irrésistible mouvement de masse. De toutes les tentatives de démocratie et de liberté avortées depuis près d’un siècle, il était resté dans la conscience nationale un fond de doute, de lassitude, de défiance pesante, que Prévost-Paradol traduisait dans la France Nouvelle, en des pages d’une mélancolie incomparable, où l’espérance même ne transparait qu’à travers des voiles de deuil.