Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’était bien cela. Le Prussien payait au capitulard le prix de sa lâcheté. Les deux compères s’entendaient pour le partage des dépouilles. À moi, disait le capitalisme allemand, les lambeaux de chair vive arrachés à la France qui s’en peut bien passer, et les cinq milliards que vont, sou à sou, suer les ouvriers et les paysans. À toi, capitalisme français, la République livrée, le pouvoir abandonné, la permission de toutes les restaurations et de toutes les réactions, en vue de la protection et de la consolidation indéfinie de ton règne. À l’annonce de la ratification des clauses de ce honteux marché, un haut-le-cœur secoua Paris. Il réfléchit que, sans doute, ils n’avaient pas eu tort ceux de la Corderie et d’ailleurs qui, aux jours du siège, avaient pensé que l’intégrité de la patrie comme le maintien de la République résidaient dans la rébellion audacieuse, dans la main-mise sur le pouvoir et presque tout entier, sauf un quarteron de boursicotiers et de rentiers, il se sentit incliné enfin à l’acte qu’il aurait dû accomplir six mois plus tôt pour son salut, le salut du pays et de la République.

Coup sur coup, de Bordeaux lui parvenaient ces nouvelles accablantes et sinistres, croyables à peine ; sur 750 députés à l’Assemblée nationale, 450 monarchistes d’origine, au bas mot, dont deux princes de la maison d’Orléans, Thiers, le massacreur de Transnonain, l’ancien factotum de Louis-Philippe, le bourgeois de toujours, incarnation la plus complète de l’astuce et de la férocité des classes dirigeantes, nommé chef du Pouvoir exécutif, maître absolu pour le quart d’heure, après Guillaume, après Bismarck ; tout ce monde : chef de l’Exécutif, ministres, députés réacs se ruant à la paix, étouffant la protestation des représentants des provinces annexées, des élus des grands centres, des villes républicaines et des parisiens surtout traités en pestiférés, en aliénés et en factieux, Garibaldi outragé ; quoi encore ? Ses portes à lui, Paris, ouvertes à l’ennemi qui avait exigé de la platitude bourgeoise et rurale cette abdication dernière. Nul ménagement, nulle précaution, nulle sollicitude pour la noble cité qui avait tant souffert et qui souffrait encore dans son esprit, comme dans sa chair. Des Français, des compatriotes, des frères auraient songé à bander ses plaies, panser ses blessures, soulager ses misères. Des Français, mais pas ces ruraux, revenants d’un autre âge, légitimes héritiers de la Chambre introuvable de 1820, domestiqués, conduits par l’Église. Que parlez-vous de baume sur les blessures et les plaies ? C’est du vitriol qu’ils y vont verser pour les aviver et les envenimer. Par la loi sur les échéances, ils acculent tous les commerçants parisiens à la faillite ; par la loi sur les loyers ils jettent à la rue, après leurs dernières hardes, leurs derniers meubles saisis, tous les travailleurs : ouvriers, employés, petits façonniers, boutiquiers. 150.000 à 200.000 familles. Mieux encore, ils projettent d’enlever au garde national, sa solde, c’est-à-dire son morceau de pain. Crève, peuple de Paris, mais que le droit propriétaire soit sauf. Enfin, la grande ville perdait son rang, ses prérogatives de capitale ; l’Assemblée