Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/280

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à sa classe de conclure un bail nouveau avec le pouvoir, la souveraineté politique et économique. De là, les provocations délibérées, voulues, le plan ferme d’acculer Paris à l’insurrection, à la lutte pour le saigner, saigner son prolétariat, le mettre pour 10 ans, pour 20 ans, pour toujours, s’il se pouvait, hors de combat.

La pensée maîtresse de Thiers, prenant en main la direction des affaires, fut — il suffit à cet égard de consulter son témoignage lors de sa déposition devant la Commission d’enquête sur l’Insurrection du 18 Mars — « faire la paix et soumettre Paris ».

Soumettre Paris : qu’entendait-il par là ? Est-ce que, par hasard, Paris était en révolte quand le gnome malfaisant de la machinerie où il avait opéré pendant toute la durée du gouvernement de la « Défense nationale » passa enfin à la barre, grimpa sur la scène, au premier plan. Paris alors était calme, recueilli ; il attendait. Il avait subi l’affront suprême, l’affront immérité de l’occupation prussienne ; il l’avait subi sans recourir aux armes, se dévouant une fois encore pour cette France qui le méconnaissait, le désavouait et l’abandonnait, payant de son honneur, après avoir payé de son sang, de ses privations, de ses souffrances. Une indignation le travaillait sans doute, une anxiété le poignait ; mais il n’en était pas encore aux résolutions viriles, aux démarches irrévocables. Une attitude générale conciliante et humaine, une politique du nouveau chef de l’État, nettement orientée dans le sens républicain, et la guerre civile était conjurée. Le calme renaissait, les passions s’apaisaient, les blessures se cicatrisaient et les événements prenaient un autre cours dans la paix, le travail revenus.

Qu’il en eût mieux valu ainsi, ou moins bien : là n’est pas la question. Nous constatons, nous ne discutons pas.

Mais Thiers et l’Assemblée nationale écartèrent délibérément toute solution conciliatrice. Le sort en était jeté. Ils pensaient tenir leur proie et n’entendaient pas la lâcher. Ils voulaient se baigner dans le sang de leurs compatriotes, en boire à coupe pleine, mener au mur ce prolétariat qui, un instant, les avait fait trembler et qui, par les voies révolutionnaires ou légales, ne cesserait plus désormais de menacer leurs rapines et d’inquiéter leur domination.

La paix avec l’Allemagne dans le sac, Thiers aborda donc d’arrache-pied la deuxième partie de son programme : la soumission de Paris.

Tout d’abord, il semble que le chef de l’Exécutif ait espéré besogner de loin. Il aimait mieux ça, risquant moins ainsi pour sa propre peau. Il avait nommé d’Aurelle de Paladines, général de sacristie comme Trochu, au commandement en chef de la garde nationale, lui donnant, comme mot d’ordre, de s’entendre avec Vinoy, gouverneur, et Valentin, ancien colonel de gendarmerie impériale, promu préfet de police, pour, de concert, désarmer Paris, lui enlever ses canons d’abord, ses fusils ensuite, s’il se pouvait.