Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/300

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La prise de contact eut lieu dans la soirée, à dix heures, à la mairie de la Banque. Une soixantaine d’élus parisiens : députés, maires, adjoints y étaient venus, la fine fleur du radicalisme et du libéralisme républicains. Tirard présidait. Autour de lui, des sommités démocratiques : Louis Blanc, Carnot, Schoelcher, Peyrat. Le débat fut plus long, plus aigre, plus envenimé qu’il n’avait été à l’Hôtel de Ville. Les représentants des deux camps se mesurèrent, s’invectivèrent, discutèrent pied à pied. « De qui tenez-vous votre pouvoir, interrogeaient les élus, qui vous a nommés ? Il n’y a ici qu’un pouvoir régulier et légal, le nôtre ». À quoi les délégués du Comité central répliquaient : « Notre pouvoir est un fait ; le Comité central existe, il occupe l’Hôtel de Ville et c’est lui qui nous a envoyés ici ». Varlin exposa le programme du Comité, les buts poursuivis, par-dessus tout les élections municipales immédiates pour la préparation desquelles ils étaient prêts à s’entendre avec les maires. Louis Blanc fut le plus odieux. Il affirma qu’il ne voulait pas de transaction avec les insurgés, se refusait à paraître leur auxiliaire aux yeux de la France. Jusqu’à quatre heures, la controverse dura. Varlin était demeuré seul des siens. Enfin on parut tomber d’accord. Il était convenu que le Comité central conserverait le commandement de la garde nationale, mais transférerait ses quartiers à la place Vendôme. L’Hôtel de Ville serait remis aux maires ; trois d’entre eux iraient en prendre possession le matin même, à neuf heures. Quant aux députés, ils partiraient de suite à Versailles pour y porter la nouvelle de la transaction et y proposer le vote d’urgence d’une loi municipale.

À neuf heures du matin, en effet, Bonvalet, maire du IIIe, se présentait à l’Hôtel de Ville avec Murat, adjoint du Xe et Denizol, adjoint du XIIe. Mais le Comité central leur déclara que ses délégués avaient outrepassé la veille le mandat qui leur avait été confié et qu’il ne reconnaissait pas en conséquence la convention intervenue. Responsable de la situation et de ses suites, le Comité ne pouvait se dessaisir ni du pouvoir militaire, ni du pouvoir civil. Bonvalet se retira et Murat gagna de suite Versailles pour prévenir les députés de ce changement de front.

Ainsi, les deux partenaires en revenaient à leur position première. Par lui-même et par lui seul, le Comité central devait faire face aux exigences de la situation. Du reste, il l’avait bien un peu prévu, car dans le numéro du Journal officiel paru le matin, il commentait abondamment sa conduite et exposait ses actes. Plus prolixe que la veille, il expliquait dans une proclamation qui il était et où il prétendait aller. Son manifeste se terminait par cette péroraison très remarquable d’allure et qui prouvait que, pour si « inconnus » qu’ils fussent, si les hommes du Comité central ne savaient pas toujours agir, ils savaient parler et écrire : « Nous, chargés d’un mandat qui faisait peser sur nos têtes une terrible responsabilité, nous l’avons accompli sans hésitation, sans peur ; et dès que nous voici arrivés au but, nous disons au peuple qui