Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/307

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à la boutonnière. Un peu avant 2 heures, le cortège se mettait en marche par la rue de la Paix. Le plan était de traverser la place Vendôme, pour y narguer l’état-major de la garde nationale, puis de gagner, par la rue de Rivoli, l’Hôtel de Ville afin d’y siffler le Comité central. En tête, marchaient des boursicotiers, des gentilshommes de plume, des officiers en disponibilité : Frédéric Lévy, de Coëtlogon, de Heckeren, H. de Pêne, Sassary, de Molinel, membres de la Société des Gourdins réunis, la fine fleur de la réaction. Dans les rangs, provocateurs, se dissimulaient nombre d’agents bonapartistes prêts à escamoter le mouvement s’il prenait de l’ampleur. Au reste, si la manifestation aboutissait, même pacifique, c’était déjà une opération profitable, la preuve que la Révolution ne tenait pas son Paris et qu’un coup d’audace pouvait en avoir raison.

Par malheur pour ses instigateurs, la démonstration échoua piteusement. Les premiers rangs de la colonne de l’ordre vinrent se heurter place Vendôme aux barrages formés par les bataillons fédérés. La colonne voulut forcer. Des coups de feu retentirent, les premiers tirés, il semble, par les manifestants eux-mêmes puisque plusieurs d’entre eux tombèrent à ce moment frappés de balles qui les avaient atteints par derrière. Cependant Bergeret, qui commandait à la place, multipliait les sommations ; cinq minutes les tambours battirent. Enfin la colonne ne se dispersant pas, deux salves furent tirées par les fédérés qui couchèrent sur le sol une vingtaine de manifestants. Le reste s’enfuit comme une volée de moineaux. Ce fut un sauve-qui-peut général. En un clin d’œil la rue de la Paix se trouva nettoyée. Il y avait une trentaine de tués ou blessés du côté de la foule, deux tués et huit blessés dans les rangs fédérés.

Il ne restait plus à la réaction qu’à évacuer Paris à son tour ou à se terrer. C’est ce qu’elle fit. Boursicotiers, figaristes. pandours gagnèrent Versailles par les trains les plus rapides pour s’y mettre, avec leurs cocodettes, sous la protection du grand sabre des généraux décembriseurs. Le « Tout Paris » agioteur, bambocheur et proxénète se reformait au pied de la statue du Grand Roi.

Demeuraient donc en présence dans Paris évacué par le gouvernement, évacué par les beaux fils de la Haute, le Comité central et les maires. C’est entre ces deux pouvoirs que la partie se continue pendant les quatre jours qui suivent.

Mais pour que les maires gagnassent, il était indispensable qu’ils obtinssent de Versailles certaines concessions. « Ne nous laissez pas revenir les mains vides », implorait Tirard, leur vrai chef, à la séance du 21. Ces concessions, les arracheront-ils ? Jusqu’ici, il ne semble guère. À la séance du 22, l’Assemblée nationale, sans s’abandonner aux mêmes démonstrations violentes et haineuses que la veille, se montra dans le fond aussi butée, aussi intraitable sinon davantage. Vacherot, un maire de Paris pourtant et qui avait eu son