Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/364

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fournit lui-même les moyens, en nous renvoyant un nombre assez considérable de nos prisonniers, dont il avait suspendu le retour par suite des contestations survenues ». Un autre témoin, dont la déposition a dans l’occurence une valeur égale à celle de Thiers, le général Vinoy, commandant en chef de l’armée de Versailles, a été plus explicite encore et indique que, jusque dans le détail, Bismarck s’employa à aider ses bons amis les ennemis. « Les quinze jours, a-t-il écrit[1], qui s’écoulèrent du 19 mars au 2 avril furent de part et d’autre employés à l’organisation des forces militaires qui allaient engager la lutte. Il fallait avant tout augmenter l’effectif de l’armée et on ne pouvait le faire qu’avec l’assentiment des Prussiens. Les négociations ouvertes à ce sujet furent couronnées d’un plein succès. L’État-Major allemand, après en avoir référé à l’empereur Guillaume, consentit à ce que l’armée qui devait tenter de reprendre Paris sur la Commune fut portée de 40.000 à 80.000 hommes. Ce chiffre fut même peu après augmenté de 20.000, et au moment où nous pûmes rentrer dans la capitale, l’armée dite de Versailles dépassait 100.000 combattants. Elle fut reconstituée surtout au moyen de nombreux prisonniers de guerre que l’Allemagne nous rendit, en commençant par les officiers, ce qui permit de former aussitôt des cadres nouveaux où furent reversés les soldats qui arrivèrent ensuite ».

Cela n’a pas empêché les plumitifs bourgeois, qui ont eu la prétention d’écrire l’histoire de la Commune, d’affirmer que le Prussien aida Paris, le favorisa, qu’il couvait d’un œil sympathique et quasi-fraternel le mouvement révolutionnaire. Il aima et favorisa si bien Paris, qu’il tendit au boucher le couteau de l’égorgement. Le mensonge est donc flagrant ; mais il n’en continuera pas moins à être réédité tant qu’il y aura un régime capitaliste et une histoire officielle écrite par les valets de ce régime, alors que si la bourgeoisie française n’était pas une ingrate, elle aurait élevé déjà à Bismarck, son sauveur avec Thiers, un monument de sa reconnaissance à la Terrasse de l’Orangerie ou au Plateau de Satory.

À la date où nous sommes parvenus, 1er avril, les bons offices de Bismarck, le temps manquant, n’avaient pu produire leur plein effet, mais dès lors Thiers possédait l’assurance de ne pas manquer, quand il la lui faudrait, de la chair à canon nécessaire. D’où sa superbe qui éclate dans une autre des phrases célèbres de sa déposition : « Dès que je fus parvenu à réunir 50.000 hommes, je me dis que le moment était venu de donner une leçon aux insurgés ». Ce moment porte une date, celle du 2 avril, et la déclaration que l’on vient de lire établit péremptoirement qu’à cette date, comme au 18 mars, le « parti de l’ordre » fut l’agresseur, le provocateur, ouvrit le feu.

  1. Général Vinoy. L’Armistice et la Commune (p. 241-245).