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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/366

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La division Bruat, venue par Ville-d’Avray et Montretout, rejoignait la brigade Daudel, descendue par La Celle-Saint-Cloud, Bougival et Rueil, flanquée à sa gauche par la brigade de cavalerie Gallifet. Des pentes du Mont-Valérien, Vinoy avait poussé ses canons dans la direction de Courbevoie, devenu le principal objectif de son offensive, et il lançait le 74e de ligne sur la barricade du rond-point défendue par quelques centaines de fédérés à peine. Reçu de pied ferme, le 74e, malgré l’appui de l’artillerie, reculait et se débandait, et il fallait l’intervention de Vinoy, en personne, se jetant sur la chaussée, pour le ramener en ligne. Un bataillon de marins prenait alors les devants et la barricade était enfin emportée par les marins et par le 113e qui occupait en même temps la caserne de Courbevoie, tandis que l’infanterie de marine prenait position dans Puteaux.

Les fédérés, accablés sous le nombre, avaient reculé jusqu’à l’avenue de Neuilly qui, en un clin d’œil, fut balayée par une trombe de fer. Plusieurs bataillons, notamment le 93e du Faubourg Saint-Antoine, le 118e de Belleville et le 119e du Val-de-Grâce souffrirent beaucoup, et quelques obus allèrent tomber dans Paris même. À l’approche des fortifications, les fédérés se reformèrent et trois bataillons étant accourus par la Porte-Maillot à leur secours, l’ennemi put être contenu. Au reste, il ne semblait pas soucieux de tenter l’escalade des remparts. Pendant une partie de l’après-midi, les deux troupes demeurèrent en présence sur leurs positions respectives, et vers le soir les Versaillais se replièrent dans la direction du Mont-Valérien.

Nous savons que les assaillants engagèrent 30.000 hommes dans cette affaire. Cette masse considérable s’était heurtée à un simple rideau de fédérés, 3 ou 4.000 au grand maximum, déployés de Puteaux à Asnières, et dépourvus de toute artillerie. L’issue ne pouvait être douteuse. Versailles sanctionna et souligna sa victoire, en fusillant sur le champ, sans jugement, les gardes nationaux faits prisonniers. Ce premier assassinat doit être porté à l’actif de la gendarmerie et aussi de la troupe, puisque Thiers, qui bientôt eut le front de nier ces exécutions sommaires, écrivait dans une dépêche datée de 5 heures du soir et adressée aux autorités de province : « L’exaspération des soldats était extrême et s’est surtout manifestée contre les déserteurs qui ont été reconnus ».

Tout Paris, cependant, était debout. Le bruit de la canonnade avait jeté dans la rue jusqu’au plus indifférent et au plus paisible. Aux faubourgs, particulièrement, l’agitation était extrême. Le rappel et la générale faisaient rage. À chaque carrefour, les gardes nationaux, le fusil sur l’épaule, se rejoignaient, se massaient, et formés en bataillons, s’acheminaient vers les remparts de l’Ouest. En hâte, des pièces à feu étaient poussées dans la même direction et hissées sur les bastions. À 5 heures de l’après-midi, plus de cent mille fédérés en armes occupaient les grandes artères qui avoisinent l’Arc-de-Triomphe de l’Étoile, pleins d’enthousiasme et d’élan, réclamant la sortie immédiate, brûlant de prendre l’offensive. Beaucoup de femmes avaient suivi, encourageant,