Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/39

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celle-ci à prolonger le dualisme qui réduisait l’Allemagne à l’impuissance. Cette guerre n’aurait eu une signification vaste, elle n’aurait fait de la Prusse le chef moral de l’Allemagne que si la Prusse avait promis à l’Allemagne, comme prix de la victoire commune, la pleine unité dans la pleine liberté, une représentation nationale souveraine. La Prusse n’osa pas ressusciter cette Constitution de 1849 qu’elle avait traîtreusement ruinée. Le prince de Hohenlohe a noté, dans son journal, à la date du 17 février 1859, ces hésitations de la Prusse. « Le cabinet prussien désire maintenir la paix, parce qu’il n’a aucun goût de commencer une guerre nationale qui ne pourrait finir et bien finir que par une paix nationale, et qui autoriserait la nation pour prix de son concours à former des espérances dont la réalisation serait incommode. Elle se donne donc beaucoup de mal pour remettre en train le concert européen, mais elle se heurte : 1o à l’incalculabilité de Napoléon ; 2o à l’incapacité politique, à la perversité et au mensonge de l’Autriche, etc. »

La Prusse se borna donc, quand la lutte eut éclaté, à surveiller les événements et à arrêter Napoléon avant qu’il marchât sur Vienne et qu’il envahît ainsi le cœur de l’Allemagne. Pour ceux des Allemands, tous les jours plus nombreux, qui aspiraient à la grande unité nationale c’était une déception de plus. Mais bientôt la période des incertitudes et des défaillances allait être close ; et M. de Bismarck, appelé par le roi à la présidence du ministère prussien, donnait à l’Allemagne et au monde, par tous ses actes gouvernementaux, par son attitude dans l’affaire des duchés, par la vigueur provocatrice avec laquelle il obligeait l’Autriche à la guerre, cette impression très nette qu’il y avait désormais une volonté forte au service d’une politique décisive. Cette politique c’était de constituer l’Allemagne comme une nation par l’exclusion de l’Autriche et de l’unir sous la direction de la monarchie prussienne ; pour réaliser ce dessein, tous les moyens lui étaient bons. Les tendances des hommes, les doctrines, les systèmes, tout n’avait à ses yeux de valeur et de sens que par rapport à ce but. Il était tout disposé à refouler les prétentions libérales, à fausser et à briser le mécanisme constitutionnel quand le Parlement lui refusait ou lui marchandait les crédits nécessaires à l’organisation de l’armée offensive dont il avait besoin. Il était disposé aussi, « la Révolution étant une force », à exciter dans le peuple allemand les souvenirs et les espérances révolutionnaires, si cet appel à la Révolution était la condition du succès dans la lutte pour l’unité allemande et pour l’hégémonie prussienne. Il frappe le grand coup de Sadowa, exclut l’Autriche de la Confédération germanique, incorpore à la Prusse le Hanovre, la Hesse, Francfort, il constitue avec tous les États allemands, au-dessus de la ligne du Mein, la Confédération du Nord où la Prusse est souveraine, et il se prépare, par de patientes manœuvres ou de brusques entreprises, à envelopper les États du Sud dans la Confédération élargie.

C’est ici que commence, c’est ici tout au moins que se précise la responsa-