Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/391

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À la Préfecture de Police, Rigault, puéril et violent à faux, agit déjà à sa guise, se complaisant à apeurer le bourgeois : prêtre ou laïque, par des attitudes farouches, perdant son temps à éplucher avec amour les dossiers de police trouvés dans les archives impériales pour restituer en grand apparat l’identité d’un mouchard de bas étage ou relever les traces de quelque complot blanquiste avorté. Il bâillonne la presse, lance des communiqués, supprime les journaux, perquisitionne, arrête, incarcère, comme il lui chante, heureux et amusé de faire tapage, provocant et incohérent sans aucune des qualités que réclamaient la fonction et la situation. Interpellé à mainte reprise par Lefrançais, par Arnould, par Vermorel, par Tridon surtout, blâmé, désavoué, il passe outre, se maintenant contre vents et marée à son poste jusqu’au 21 avril. À cette date, démissionnaire volontaire plutôt que renversé, il troquera sa situation de délégué à l’ex-Préfecture de Police contre celle de Procureur de la Commune de Paris, où il continuera du reste, à l’ombre du souvenir de Chaumette, à desservir par ses légèretés, ses allures de carabin impénitent, la cause qu’il avait embrassée et pour laquelle il devait très noblement mourir.

Aux Finances, Jourde, avec Varlin et Beslay, ne dépendront aussi et de plus en plus que d’eux-mêmes et d’eux seuls. Ils agiront vis-à-vis des grands établissements d’agio et de crédit, contre ou en faveur des grands monopoles capitalistes comme il leur plaira, comme ils le voudront. Honnêtes autant qu’appliqués, nous l’avons déjà dit, mais on ne saurait trop le redire, la Commune aura en eux, en Jourde principalement, des comptables méthodiques et ponctuels, des caissiers intègres et fidèles. Par contre prisonniers de préjugés, timides par nature, par probité même, impuissants à s’élever à une conception générale de la situation, ils s’interdiront les hardiesses, tout ce qu’ils considéreront comme des empiétements de pouvoir, comme des excès dangereux. Leur attitude sera de prudence, de réserve, de pusillanimité. Ils se croiront quittes envers Paris quand ils lui auront ménage les ressources d’un budget normal grâce auquel il parera aux dépenses traditionnelles et coutumières, paiera ses employés et ses fonctionnaires, distribuera quotidiennement la solde aux bataillons de la garde nationale. Pas un instant ils ne se demanderont s’il n’est pas mieux et plus à faire, s’ils ne pourraient pas, tout en procurant aliment et vie à la Révolution et à ses soldats, tarir d’autre part quelques-unes des ressources de l’ennemi, lui porter, visant à la caisse, tels de ces coups qui font hésiter les plus farouches, donnent à réfléchir aux plus intraitables.

À cet égard, ils ont pris de suite position, à propos de la question de la Banque de France. Jourde et Varlin, avant le 26 mars, pendant la période où gouverne le Comité central, Beslay ensuite, nommé après les élections du 26, délégué de la Commune à la Banque, se constituent les protecteurs de cet établissement, les gardiens jaloux de l’intégrité de son crédit, considéré par eux comme le crédit même de la France.