Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/398

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conseillait, armât du moins Paris pour la défensive, si solidement et si efficacement, que l’ennemi s’éternisât devant les retranchements populaires. Cela était possible sans génie, sans capacités extraordinaires, avec de la méthode, de l’application et de la bonne volonté, Cluseret s’enferma dans une inaction complète, laissant aller les choses à la dérive, ne se préoccupant même pas de réparer les brèches aux remparts, et de garnir ceux-ci des bouches à feu qui se rouillaient dans les parcs, moins encore de construire à l’intérieur de la ville la double ligne de barricades pourtant prévues. Toutes choses aisées à exécuter cependant, qui auraient rendu l’accès de la capitale presque inabordable à une armée, même victorieuse et qui, prolongeant indéfiniment la résistance, aurait donné à la province le temps de se ressaisir, la possibilité d’intervenir. Quand les événements, un de ces incidents tels qu’il s’en produit en période révolutionnaire, eurent précipité Cluseret du pouvoir, l’eurent conduit du ministère à la prison, il avait gâché misérablement les quelques semaines que le sort avait accordées à la Commune pour organiser sa défense. Il avait irrémédiablement compromis la situation.

Cluseret fut donc coupable. D’incapacité, du moins. Rien n’est venu, en effet, justifier les accusations, celles-ci infamantes, portées contre lui et étayées sur cette base un peu fragile de ses relations avec Washburne, le représentant des États-Unis à Paris, auquel l’Empire allemand avait confié la garde provisoire des intérêts de ses nationaux. Mais cette culpabilité ainsi définie, la Commune, en tant que collectivité, la partage avec le délégué à la Guerre. Malgré les avertissements qui ne lui furent pas épargnés, en dépit des faits plus probants encore qui auraient dû appeler son attention, provoquer son intervention, elle ne se préoccupa que par à-coups de la gestion de l’homme qui tenait en mains son propre destin ; elle ne réclama pas de compte, laissa aller, laissa courir. Elle mérita ce qui advint.

En ces jours d’attente et de répit approximatif, où les événements décisifs se préparent sans que les élus qui sont à la barre pourtant aient l’air seulement de s’en douter, l’Hôtel de Ville donne un spectacle à la fois douloureux et lamentable. Les meilleurs de la Commune, ceux qui auraient pu lui communiquer vigueur et raison, sont le plus souvent absents, occupés à leurs tâches particulières, rivés à leurs fonctions spéciales : Jourde aux Finances, Varlin et Avrial à l’Intendance, Frankel au Travail et à l’Échange, Ferré à la Sûreté générale, Vaillant à l’Enseignement, Theisz aux Postes, Beslay à la Banque. D’autres sont terrassés par la fatigue et éloignés par la maladie comme Delescluze, comme Tridon. D’autres encore avec Lefrançais, avec Vermorel, avec Malon, avec J.-B. Clément, avec Ranvier et Gambon, fréquentent les avant-postes, voisinent avec les combattants, las, dégoûtés des querelles intestines et croyant à tort que c’est sur la ligne du feu, face aux Versaillais que le devoir les convie. Les séances sont le plus souvent le néant. Elles se passent en discussions vaines, en motions et interpellations sans suite ni sanction, en