Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/426

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

versaillaise qui avaient gravement disserté avec eux sur les mérites comparés de la centralisation et de la décentralisation. Thiers ne s’égara pas dans ces sinueux méandres. Il alla droit au fait. « Sur son honneur, il jura, que jamais lui vivant et au pouvoir, la République ne succomberait ». Sur le second point, celui des franchises de Paris, il déclara « que Paris n’avait à attendre du gouvernement rien de plus que l’application du droit commun, tel qu’il résulterait de la loi municipale que la Chambre allait voter ». (Quant à la suspension de l’action militaire, à l’armement et à l’organisation de la garde nationale et à l’amnistie politique générale, points sur lesquels la délégation appelait aussi son attention et qui avaient une importance au moins égale, puisque leur solution engageait immédiatement le gouvernement, sur le terrain des faits, l’interpellé ne se donna même pas la peine de répondre et la délégation dut se contenter de ce silence éloquent.

Le 12, visite des délégués de la Ligue d’union républicaine pour les Droits de Paris, A. Adam, Bonvallet et Desonnaz. La Ligue avant d’embarquer ses plénipotentiaires avait lancé un nouvel et vibrant appel où elle disait : « Si le gouvernement de Versailles restait sourd à ces revendications légitimes, qu’il le sache bien, Paris, tout entier, se lèverait pour les défendre ». C’était clair, mais Thiers ne s’effaroucha pas de l’ultimatum ; il était renseigné et savait que l’acte ne suivrait pas la parole. Il répondit le 12 ce qu’il avait répondu le 8, avec un peu moins de circonvolutions encore et de réticences : « Tant que je serai au pouvoir, je garantis l’existence de la République. Les franchises municipales de Paris seront celles de toutes les villes et telles que les fixera la loi élaborée par l’Assemblée. Paris aura le droit commun, rien de plus, rien de moins. L’armée rentrera dans Paris. La solde allouée aux gardes nationaux sera continuée encore quelques semaines ». Sur le chapitre de l’amnistie, il ajoutait que « quiconque renoncerait à la lutte serait à l’abri de toutes recherches, les meurtriers des généraux Clément Thomas et Lecomte exceptés ».

La Ligue échouait donc sur toute la ligne. Elle emportait de Thiers l’assurance qu’il garantissait la République, tant qu’il en serait le chef. De cela, on se doutait bien un peu qu’il préférait un régime qui lui conférait l’omnipotence à une monarchie, où il n’aurait été malgré tout que le second avec une autorité incertaine et précaire. Mais quelle République aussi ! une République de nom, une République sans agents républicains, comme il allait le dire bientôt, et surtout sans principes républicains. Pour le reste, il se raidissait intraitable et il lâchait la menace sinistre qui disait tout ; « L’armée rentrera dans Paris ».

Après ces entretiens, si les bourgeois parisiens avaient eu quelque conviction et quelque virilité, ils auraient couru aux armes, ainsi qu’ils l’avaient promis ; ils auraient rallié le prolétariat pour la lutte en commun. Ils ne bougèrent pas et continuèrent à tenir leurs conciliabules et à déambuler de Paris à Versailles et de Versailles à Paris, de moins en moins reçus et écoutés. Dès ce moment pourtant, ils n’ont plus l’excuse de l’ignorance. Si Thiers était