Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/435

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Nous n’en donnerons pas le texte, mais nous rappelerons que son élaboration avait été confiée à un trio fort disparate, formé de Delescluze, Theisz et Jules Vallès. Vallès a raconté, sur cette collaboration, une petite anecdote très sentimentale, dans laquelle il montre Delescluze arrivant écrasé par la maladie, les doigts tremblants, tout pâle et, d’une voix grave et triste, disant à Theisz et lui : « Les vieux doivent s’effacer devant les jeunes. Rédigez la Déclaration sans moi, loin de moi. Je suis sûr que vous y mettrez toute votre conviction et tout votre cœur… Seulement, tenez, tâchez de glisser dans votre rédaction quelque chose de ce que j’ai écrit sur ce papier. Cherchez ma pensée dans ce brouillon… Vous avez peut-être raison, je représente les idées de l’autre siècle. Pourtant, croyez-moi, il ne faut pas hacher, en ce moment, le cœur de la Patrie. C’est comme si on hachait le mien ! » L’anecdote est jolie ; mais, en réalité, si ce ne fut pas Delescluze qui rédigea la déclaration, ce ne fut pas Theisz non plus, et même pas Vallès. Ce dernier, paresseux comme un artiste, s’en était remis pour la confection à un quatrième personnage, son co-rédacteur au Cri du Peuple, Pierre Denis, qui travaillait d’arrache-pied dans les programmes, constitutions et chartres. Pierre Denis, féru d’autonomisme et de fédéralisme, en sema à pleines mains dans son factum.

Si la Commune avait cru devoir discuter, il est à penser que le document aurait subi de fortes retouches ; mais elle n’en était plus à l’heure où l’on ergote et où l’on disserte. La rédaction proposée fut acceptée presque sans discussion, comme l’eut été probablement tout autre, même de tendances divergentes. Seul Lefrançais qui était orfèvre chicana quelque peu. Pour ceux qui ne méconnaissaient pas le tragique de la situation, autant valait cette proclamation qu’une autre ; l’important n’était pas de définir doctement le mouvement, mais de lui permettre de durer et de se développer. La déclaration, nous le répétons, passa comme une lettre à la poste, sans que nul se doutât que les exégètes de l’avenir tiendraient ce document pour le testament de la Révolution et s’efforceraient à poursuivre entre ses lignes l’intention socialiste qui en est quasi absente[1]. C’est peine perdue, en effet, que de chercher le socialisme de la Commune dans les délibérations de ses élus à l’Hôtel de Ville, dans leurs déclarations ou même dans leurs actes, alors qu’il ne se trouve que dans sa lutte armée qui bientôt assumée uniquement par les prolétaires, à l’exclusion de tout autre élément, devenait obligatoirement une lutte ouvrière et ne pouvait, en conséquence, avoir d’autre aboutissant qu’un aboutissant socialiste perturbateur de tous les antiques rapports entre Capital et Travail et radicalement rénovateur.

Sans doute, ils n’émettent donc pas une appréciation erronée ceux qui accu-

  1. À la rigueur, on peut la trouver indiquée, mais combien discrètement, dans ces trois lignes : « Paris se réserve de créer des institutions propres… à universaliser le pouvoir et la propriété, suivant les nécessités du moment, le vœu des intéressés et les données fournies par l’expérience. »