Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/439

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Clamart. Dans la nuit du 29, trois colonnes d’attaque se jetaient sur le cimetière, l’occupaient et s’emparaient également du parc. Dans cette rencontre, nombre de fédérés étaient tués ou blessés, et cent d’entre eux restaient prisonniers entre les mains du vainqueur avec huit pièces d’artillerie. À la même heure, quatre-vingt fédérés étaient faits prisonniers à quelques portées de fusil de là, à la ferme Bonamy, près le fort de Vanves.

Au matin, quand les défenseurs du fort virent tout autour d’eux les tranchées occupées par l’ennemi, l’inquiétude les prit. Les obus versaillais ne cessaient de tomber, effondrant les casemates, démontant les pièces et couvrant la plateforme de morts et de blessés. Mégy tint conseil, et malgré les ordres contraires qui lui parvenaient de Cluseret, décida l’évacuation. Les canons furent encloués et les trois cents hommes de la garnison prirent la route de Paris. Seul, resta un adolescent de 16 à 17 ans, Dufour, qui obstinément se refusa à toute retraite et se rendit à la poudrière, déclarant qu’il la ferait sauter sous les pas de l’ennemi, si celui-ci approchait.

C’est ce jeune brave qui avait raison. Soit qu’ils craignissent en effet une feinte, soit qu’ils redoutassent l’explosion, les Versaillais ne se montrèrent pas, et quand quelques heures plus tard Cluseret se présenta à la tête de bataillons du XIe arrondissement pour réoccuper le fort, il le trouva en la possession de l’héroïque garçon qui reprit modestement sa place dans les rangs de la nouvelle garnison.

Le fort d’Issy ne devait tomber entre les mains versaillaises que la semaine suivante ; mais l’émotion provoquée dans la capitale par l’évacuation, et qui y avait été extrême, ne se calma pas. Cet incident révélait à tous l’incurie de la Commune, mettait à nu l’incapacité des chefs militaires, montrait l’abîme où courait Paris et où il allait s’engloutir avec la Révolution. Un sursaut général se produisit dont Cluseret fut la première victime. Accusé de trahison, il fut arrêté à l’Hôtel de Ville au moment où il revenait d’Issy, réoccupé du reste par ses soins, et conduit à Mazas. La Commission exécutive elle-même devait être la seconde victime.

Quand le bateau, démâté et désemparé sur les flots en fureur, court droit à l’écueil dont l’âpre profil se découpe à l’horizon, tous les yeux se tournent instinctivement vers le capitaine ; les volontés individuelles abdiquent entre les mains de celui qui commande la manœuvre : la nécessité d’une direction unique et omnipotente apparaît et s’impose. La Commune en était venue à cette minute tragique. Les élus de l’Hôtel de Ville avaient pu, au début de leur règne, donner dans les billevesées fédéralistes, se griser d’autonomisme et mettre en proclamations le proudhonisme au rabais de Pierre Denis, les événements plus forts que les mirages et que les systèmes les amenaient, en cette fin d’avril, à faire un retour sur eux-mêmes et à s’interroger anxieusement sur les raisons des désastres ininterrompus qui jalonnaient leur route et les rapprochaient chaque jour de la catastrophe finale dont l’imminence se percevait dès