Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/463

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journée, devenue complètement intenable. Derrière cette forteresse qui semble inexpugnable, s’élèvent tout au long de la rue de Rivoli, dans les ruelles étroites du quartier Saint-Gervais, au pied de la tour Saint-Jacques, d’autres barricades. Hommes, femmes, enfants y travaillent avec une sombre ardeur. Tout passant, bourgeois vaniteux, dames en falbalas, est requis pour une aide de quelques minutes. « Un coup de main, citoyen ou citoyenne, disaient les terrassiers improvisés ; c’est pour votre liberté que nous allons mourir ». On remue, on dresse les pavés jusque dans les quartiers aristocratiques, en plein territoire hostile, à l’Opéra, à la Bourse, au faubourg Saint-Germain ou de sanglantes rencontres se sont produites dès lors rue du Bac, sur les pentes de Montmartre surtout, à la place Blanche, à la place Pigalle, de ce Montmartre qui, on le pressent, les Batignolles déjà entamées, sera attaqué demain. Cent mille prolétaires besognant et surveillant sont debout en cette nuit d’attente ou l’ennemi a fait halte par calcul sans doute, mais aussi par crainte, et où l’espoir d’une victoire reste au cœur.

Le 23, dès l’aube, commença l’âpre bataille. Toutes les forces versaillaises entraient à la fois en ligne.

La veille, les corps de Clinchant et de Ladmirault avaient exécuté un ensemble d’opérations préparatoires contre Montmartre ; mais les bataillons du XVIIe, conduits par Malon et Jaclast, leur avaient barré résolument le chemin. À 4 heures du matin, le combat reprend dans ces parages et après cinq heures de fusillade les Batignollais sont forcés de battre en retraite. Ils se replient sur Montmartre, comptant pouvoir reprendre haleine sous les canons de la place. Mais ces canons sont muets et Montmartre semble s’abstraire de la lutte. Cette nuit, plusieurs délégués de la Commune sont venus pour secouer la léthargie de la citadelle révolutionnaire, Lefrançais, Vermorel, Johannard avec La Cécilia et Cluseret. Cluseret a disparu. La Cécilia a pris le commandement, mais il n’a guère avec lui que deux ou trois cents hommes. Les Montmartrois dévoués à la Commune combattent plus bas, du côté de l’Hôtel de Ville ; d’autres, le plus grand nombre il faut le dire, par lassitude, découragement, sont rentrés chez eux. Le chef de la XVIIIe légion, Millière[1], est un incapable dénué de toute vigueur. Le pire est que la formidable artillerie établie sur la butte continue à se taire. Il y a eu des traîtres par là depuis des semaines, c’est certain ; les pièces sont pour la plupart hors d’usage.

Les Versaillais ont donc ou à peu près route ouverte. À 9 heures, Clinchant s’empare de la barricade de la place Clichy et ses soldats gravissent par l’ouest les pentes de la butte, tandis que les troupes de la brigade Montaudon, à qui les Prussiens ont livré le passage sur la zone neutre l’abordent par le Nord. À 2 heures tout est fini ; le drapeau tricolore flotte sur le Moulin de la Galette et la mairie du XVIIIe est envahie. La citadelle révolutionnaire, sur laquelle tout

  1. Ce Millière n’a de commun que le nom avec celui qui fut exécuté trois jours après au Panthéon.