partout en tas comme les ordures ». Thiers, pour l’exemple, avait exigé tout d’abord qu’on ne les enlevât pas. Que dire du Père Lachaise, de la prison de la Roquette et de ses approches, des voies de Belleville et de Ménilmontant, théâtre de la lutte suprême ?
Là même où l’on avait procédé à une inhumation forcément hâtive, comme au Parc Montceau, aux pelouses du Trocadéro, au square de la tour Saint-Jacques, le sol insuffisamment creusé rendait son trop-plein. Qui le raconte ? La presse communeuse ; il n’y en a plus. La presse bourgeoise, les organes les plus prudents, les plus circonspects : le Siècle, le Temps, le Moniteur Universel. Laissons parler celui-ci : « Ce qui épouvantait le regard, dit-il dans son numéro du 1er juin, c’était le spectacle que présentait la tour Saint-Jacques. Les grilles en étaient closes, des sentinelles s’y promenaient. Des rameaux déchirés pendaient aux arbres, et partout de grandes fosses ouvraient le gazon et creusaient les massifs. Du milieu de ces trous humides, fraîchement remués par la pioche, sortaient çà et là des têtes et des bras, des pieds et des mains. Des profils de cadavres s’apercevaient à fleur de terre, vêtus de l’uniforme de la garde nationale : c’était hideux… Une odeur fort écœurante sortait de ce jardin. Par instant, à certaines places, elle devenait fétide ». Ces journaux ajoutaient même que des gémissements étouffés et des cris de détresse perçaient, la nuit venue, ces amoncellements de pourritures. On s’était trop pressé à vider les tombereaux, et plus d’un se débattait et râlait encore dans la fosse commune, enterré vivant.
Thiers exultant, tout son vœu comblé, mandait à ses préfets : « Le sol est jonché de leurs cadavres ; ce spectacle affreux servira de leçon ». Devant ce défilé vertigineux d’horreurs, la bourgeoisie cependant prenait peur. D’affreuses mouches à viande infestaient l’atmosphère et la voie publique se couvrait de martinets morts de l’ingestion de ces mouches. Les dirigeants redoutèrent la peste. Les journaux propagèrent l’alarme. « Il ne faut pas, disait l’un d’eux, que ces misérables qui nous ont fait tant de mal de leur vivant puissent encore nous en faire après leur mort ». On saupoudra de chlore les amas de chairs putrides qui représentaient tout ce qui restait de ces « misérables » : mais les effluves pestilentielles n’en persistaient pas moins. On essaya de dissoudre ces morts récalcitrants par la chaux et la potasse, de les incinérer par le pétrole. En vain, comme on tuait toujours, il y en avait toujours. Il fallait s’arrêter, souscrire au moins un « sursis », ainsi que le réclamait Paris-Journal. Alors retentirent les premiers appels à la pitié. « Assez d’exécutions, assez de sang, assez de victimes », s’écria le National. Et le Temps : « Le moment est venu de distinguer entre les partisans aveugles, les simples soldats et les chefs. » Et l’Opinion Nationale : « À côté des droits de la justice, on demande un examen sérieux des inculpés. On voudrait ne voir mourir que les vrais coupables ». Les feux de peloton s’espacèrent donc et le nettoyage put commencer. Plus longues se firent aussi les files de captifs acheminés sur Versailles.