Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des journalistes : Rochefort, Alphonse Humbert, du Père Duchêne, Maroleau, Albert Grandier, du Rappel, Olivier Pain. Il y avait des femmes aussi, plus résistantes, plus fermes encore que les hommes, comme Louise Michel qui a voulu la mort que ses juges lui ont refusée. « Je ne veux pas me défendre, avait-elle dit aux soudards devant qui elle comparaissait, je ne veux pas être défendue ! J’appartiens toute entière à la Révolution sociale et je déclare accepter la responsabilité de tous mes actes. Je l’accepte sans restrictions. Vous me reprochez d’avoir participé à l’exécution des généraux ? À cela je repondrai : Oui, si je m’étais trouvée à Montmartre, quand ils ont voulu tirer sur le peuple, je n’aurais pas hésité à faire tirer moi-même sur ceux qui donnaient des ordres semblables. Quant à l’incendie de Paris, oui j’y ai participé, je voulais opposer une barrière de flammes aux envahisseurs de Versailles. Je n’ai pas de complices ; j’ai agi d’après mon propre mouvement… Ce que je réclame de vous, qui vous affirmez Conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la Commission des grâces, c’est le champ de Satory où sont déjà tombés nos frères. Il faut me retrancher de la société ; on vous dit de le faire ; eh bien ! le Commissaire de la République a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la Commission des grâces. J’ai fini… si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ». Et les juges militaires avaient tremblé devant cette femme qui les défiait avec une si tranquille audace ; ils n’avaient pas osé prononcer la sentence capitale et l’avaient condamnée à la mort lente, à la déportation dans une enceinte fortifiée. Stoïque, elle avait accepté son sort et sur le pont de la Virginie, qui l’emportait loin de France, loin de sa mère, loin de tout ce qui lui était cher, elle réconfortait ses compagnons de chaîne, comme elle les réconfortera là-bas au terme du voyage, sur la terre de damnation, gardant en son cœur indomptable l’espérance avec la foi, foi dans la cause auguste du prolétariat, espérance en une revanche fatale.

C’est tout. En ces jours l’expiation est parachevée et complète. Avec les lois, par les lois, par ses lois, la réaction bourgeoise, ainsi que Thiers le lui avait demandé, a mis le sceau à son triomphe. Elle a fait ce coup-ci plus grand qu’en juin et qu’en décembre. Elle a abattu la classe ouvrière, l’a saignée à blanc, l’a châtrée pour des années de ses éléments les plus vigoureux, les plus rebelles. Devant son dernier attentat, tous les attentats de l’histoire, de son histoire du moins, se rapetissent et pâlissent. La Saint-Barthélémy n’a pas fait 5.000 victimes ; la Terreur de 93 et de 94 n’en a guère fait plus du double ; et Saint-Barthélémy comme Terreur s’étaient étendues l’une et l’autre cependant à l’ensemble du territoire. En juin 48, les assassinés furent 10.000 peut-être. Cette fois, c’est par 30.000 qu’il les faut compter, avec 70.000 autres rayés sinon de la vie, du moins de la société, plongés vivants dans des sépulcres qui ne