Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/60

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l’effort, de toute la pensée d’un peuple fort qui n’ait que des intérêts allemands. Ah ! si la Prusse pouvait comprendre qu’elle ne pourra vraiment créer, même sous sa direction, même sous sa suprématie, l’unité allemande qu’en respectant toute la part d’autonomie des États qui n’est pas incompatible avec cette unité ! Si elle pouvait comprendre que le vrai moyen de rassurer l’Allemagne, c’est de lui donner la liberté politique, c’est de la ramener, par la vaste communauté d’un Parlement national, à ces beaux jours d’espérance et de rêve de 1848 ! Ce serait l’idéalisme de ce temps de jeunesse, mais sans ses illusions, sans son inexpérience, sans son insuffisance. Ce serait l’idéalisme armé, efficace : la Prusse effacerait enfin le triste refus qu’elle opposa alors à l’unité allemande par peur de la démocratie et de la liberté. Ce beau songe recommencerait, mais vivant cette fois, et réel et substantiel.

Sans doute, ce ne serait pas encore la grande unité, ce ne serait pas la « grande Allemagne », puisque l’Autriche en serait exclue ; mais quand l’Autriche serait déchargée de ce fardeau de la politique allemande qui embarrassait sa marche, quand elle ne se heurterait plus à la Prusse sur le difficile terrain d’Allemagne, pourquoi la nation allemande ne conclurait-elle point avec l’Autriche un pacte d’alliance qui serait, sans confusion, sans froissement, l’équivalent de la grande unité ?

Ainsi, dans les cœurs profonds et troublés s’opposaient, se croisaient les craintes et les espérances. Si donc la Prusse triomphe, si elle sait apparaître dans le combat, dans la victoire, comme l’organisatrice de l’unité allemande, si elle sait, dans le combat, dans la victoire, faire une part aux forces de liberté et de démocratie, beaucoup de ceux qui se disaient ou se croyaient ses adversaires reviendront à elle ; et ce ne sera pas lâche acquiescement à la victoire, ce sera, pour beaucoup de consciences allemandes, reconnaissance de leur propre pensée. La démocratie française aura-t-elle, au lendemain de Sadowa, assez de clairvoyance et de désintéressement, et, sous le coup même des événements, une suffisante force d’analyse pour démêler les termes compliqués du problème allemand ?

M. de Bismarck a manœuvré de façon habile. Voulant en finir avec l’influence allemande de l’Autriche par une guerre à fond, il a donné comme programme de la politique prussienne : 1o Exclure l’Autriche de la Confédération ; 2o Constituer un État fédéral où tout le peuple allemand sera représenté par un Parlement national élu, comme en 1848, au suffrage universel. C’était évoquer au profit de la Prusse des souvenirs émouvants et de hautes espérances. M. de Bismarck n’était en aucune façon un démocrate ou un parlementaire. Livrer au suffrage universel ou à une Assemblée la conduite des affaires de la Prusse et de l’Allemagne lui aurait semblé un abandon criminel des droits de la monarchie, mais surtout une aberration, une rechute dans l’anarchie d’où il essayait précisément de tirer les peuples allemands. Il venait pendant quatre ans de lutter contre le Landtag et de gouverner sans budget consenti