Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/68

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M. de Bismarck et du roi de Prusse ; elle leur a permis de constituer d’abord un centre de puissance monarchique dont la force d’attraction s’exercerait ensuite sur les éléments démocratiques de l’Allemagne du Sud.

Malgré tout, malgré tous ces calculs bismarckiens, malgré toutes ces arrières-pensées prussiennes, il était impossible de constituer l’unité allemande sans mettre la démocratie en mouvement ; et celle-ci, quelque lente et embarrassée que soit sa marche, va irrésistiblement vers son but. En ce sens supérieur, M. de Bismarck était dupe de sa propre manœuvre. En fait, dans le premier parlement de la Confédération du Nord, le parti libéral était puissant et les revendications politiques de la bourgeoisie étaient vigoureuses ; et si les premiers socialistes démocrates élus : Bebel, Liebknecht, dénonçaient avec véhémence ce qu’avait d’étroit et de fragile l’œuvre de violence de M. de Bismarck, cette première manifestation politique du prolétariat allemand était déjà un signe de l’avenir.

Elle annonçait les puissances nouvelles qui allaient s’affirmer dans la nation allemande reconstituée. C’est seulement sur le large terrain de l’Allemagne unie, que pouvait se déployer la vaste force populaire et ouvrière : toutes les haies, tous les fossés de l’Allemagne féodale et particulariste, s’opposaient à un effort d’ensemble des travailleurs : ce n’est que dans un large horizon allemand que pouvait se lever la lumière du socialisme. C’est ce qu’avait compris, c’est ce qu’exprimait sous une forme grossière le député conservateur français, M. de la Tour, dans le débat de mars 1867.

Il disait en substance au Corps législatif : « Faites en Europe une politique conservatrice : unissez-vous à l’Autriche et à la Russie : l’œuvre qui s’accomplit en Allemagne est révolutionnaire : les communistes réfugiés à Londres se réjouissent de la concentration de toutes les forces allemandes à Berlin parce qu’ils espèrent qu’il leur sera plus facile, ayant ainsi ramassé en un point toutes les ressources de l’ordre social, de le renverser d’un seul coup.  » Les conservateurs prussiens, dès le lendemain de Sadowa, marquaient leur inquiétude ; ils reprochaient à M. de Bismarck de les trahir, d’ébranler les bases de l’autorité, et dans les élections du premier Parlement confédéral, dans les pays et dans les villes incorporées à la Prusse, dans le Hanovre, dans la Hesse, à Francfort, ce sont les partis les plus conservateurs qui marquent le plus de résistance à l’œuvre nouvelle. Tous ces symptômes n’auraient-ils pas dû avertir les démocrates français ? L’unité allemande, même accomplie par la force prussienne, préparait, à long terme peut-être, une démocratie allemande.

M. Benedetti voyait juste, en somme, lorsqu’il écrivait à son ministre, le 20 décembre 1866, et que, caractérisant le projet de Constitution fédérale préparé par M. de Bismarck, il disait : « L’avenir nous apprendra si le Gouvernement prussien a sagement agi en faisant à l’opinion unitaire et démocratique de si larges concessions. Investie des attributions qui lui sont confiées, la Diète réunit en effet, par son origine autant que par ses pouvoirs, tous les