Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/94

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L’Italie ne peut pas protéger Rome, puisqu’elle veut la prendre. La maison de Savoie lancera, s’il le faut, les bandes révolutionnaires sur Rome : et ensuite elle occupera Rome elle-même, sous prétexte de l’enlever à la Révolution. Elle chasse au faucon avec Garibaldi. Il faut qu’elle cesse ou qu’on lui brise le poing. La France a été obligée à Mentana de tirer sur les Garibaldiens alliés et protégées de la monarchie de Savoie qui n’affecte de les désavouer que pour s’en mieux servir. Mais ce ne doit pas être un effort d’un jour, ce doit être une politique constante. Que l’Italie sache bien qu’aller à Rome c’est offenser mortellement la France, c’est l’obliger à intervenir. Et comme tout à l’heure la politique de M. Thiers acculait la France à la guerre contre la Prusse, contre la Confédération du Nord, contre l’Allemagne toute entière, le voici maintenant qui nous conduit tout droit à la guerre contre l’Italie. Car, pas plus que l’Allemagne ne peut et ne veut renoncer à son unité, l’Italie ne peut et ne veut renoncer à accomplir, par la prise de possession de Rome, son grand dessein national. Elle pourra ruser, équivoquer, ajourner, tant qu’elle sera trop faible pour oser. Mais qu’un accident diminue la force de la France ou que l’Italie, assurée par une alliance avec la Prusse, se risque à jouer la suprême partie, la guerre est inévitable. Aussi bien, cette fois, M. Thiers n’en écarte pas l’hypothèse.

« Encore une fois, s’écrie-t-il le 4 décembre 1867, je dirais à l’Italie : je vous ai sacrifié tous mes intérêts ; pour vous j’ai laissé consommer en Europe la plus grande révolution des temps modernes la victoire de la Prusse ; mais enfin il y a quelque chose que je ne puis vous abandonner, c’est mon honneur, car on ne verrait dans ma conduite qu’une longue perfidie (envers le pape). Or, si je puis vous livrer mes plus chers intérêts, je ne puis vous livrer mon honneur : non, je ne le puis pas.

« Je vous le demande, messieurs, quelle est la puissance qui pourrait venir vous chercher querelle, parce que vous auriez fait cet acte de franchise et de loyauté ?

« Que pourrait-il arriver ?

« Ou l’Italie respecterait cette déclaration et laisserait le pape tranquille : il est bien vrai alors que la question serait remise et qu’il y aurait un danger pour nous à la remettre ; mais enfin le statu quo se continuerait plus dignement pour nous et avec un peu plus de sécurité pour le pape.

« Ou, au contraire, les fous l’emporteraient sur les habiles, et l’unité italienne se jetterait sur votre épée. Alors vous feriez ce que ferait un homme de sang-froid, de courage et de cœur, quand il est engagé malgré lui contre un fou : il ne se sert pas de son épée pour le tuer, il s’en sert uniquement pour se couvrir. Et si cependant l’unité italienne se blessait elle-même (ah ! ah !), ce n’est pas vous qui l’auriez détruite, c’est elle qui se serait détruite de sa propre main. (Adhésion sur plusieurs bancs). Et la question qui nous occupe, question la plus