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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/96

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dépêches, mais c’est une chose que chacun peut affirmer, sans le savoir, ils ont cédé lorsqu’ils ont acquis la certitude qu’ils ne seraient pas appuyés par la Prusse… Il y a donc pour le moment (je dis pour le moment), il y a certitude que ces liens entre la question d’Italie et la question d’Allemagne ne sont pas tellement étroits que les deux questions doivent nécessairement se poser le même jour, et que, si nous agissions en Italie, nous fussions obligés d’agir en Allemagne en même temps. Il n’est pas douteux que si vous envoyiez demain une armée pour accabler l’Italie, la Prusse dirait : Ah ! Je ne vais pas laisser écraser mon alliée de Sadowa ! Mais je ne vous propose pas de descendre en Italie avec une armée. Je vous demande seulement de ne pas vous laisser tromper par les apparences, de ne pas vous laisser tromper par la ruse italienne. »

Ainsi, contre le péril évident d’une alliance italo-prussienne, ou plutôt italo-allemande, M. Thiers a trouvé un refuge. Où ? Dans la modération de M. de Bismarck. M. de Bismarck ne veut pas indisposer la France ; il ne veut pas scandaliser l’Europe. Soit. Et il est bien certain que M. de Bismarck, qui attendait l’heure favorable pour accomplir l’unité allemande avec le moindre danger, n’allait pas subordonner aux incidents, aux épisodes tumultueux de la question italienne son vaste dessein silencieusement médité. Que lui importait, après tout, que l’Italie et la France fussent en querelle à propos du Pape ? Que lui importait que les forces françaises arrêtent Garibaldi sur le chemin de Rome ? Il avait intérêt, au contraire, à ne pas brusquer les événements. Tant que la question romaine n’était pas résolue, elle restait comme une cause de froissement entre l’Italie et la France. Il pouvait ainsi, sans elle, attendre l’occasion opportune. Il pouvait se réserver, ou d’acheter l’assentiment de la France impériale à la pleine unité allemande en lui permettant de poursuivre sa politique catholique et papale en Italie, ou, au contraire (et c’était le plus probable), s’entendre pour une action décisive avec l’Italie exaspérée par les prohibitions et les interventions de la France. Cet état d’esprit de M. de Bismarck et ces combinaisons suspensives pouvaient se prolonger quelque temps. M. Benedetti note encore, en janvier 1868, cette politique d’attente multiple et de prévoyance compliquée. » Je ne saurais trop le répéter, écrit-il le 5 à son ministre, le principal objet de toutes ses préoccupations est, si je ne me trompe, d’éviter un conflit avec la France ; mais, il pressent que la politique qu’il poursuit en Allemagne peut le faire éclater, et, ne perdant pas de vue cette grave éventualité, il y subordonne toutes ses résolutions. Pour qu’elles fussent toutes également conformes à l’esprit de conciliation qui inspire le gouvernement de l’Empereur, il faudrait à M. de Bismarck une garantie certaine que, dans aucun cas, la France ne tentera de renverser ce qu’il appelle son système germanique.

« C’est ainsi que pourrait s’expliquer, à mon avis, l’attitude mesurée et à certains égards contradictoire qu’il a gardée durant l’entretien dont je viens de