Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/102

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C’est parmi la plus profonde indifférence des masses que s’élaborent une foule de lois, les moins mauvaises suscitant les pires défiances : loi sur le recrutement du jury due à M. Dufaure qui en fait un véritable trompe-l’œil libéral et démocratique ; loi tendant à réprimer l’ivresse publique et à combattre les progrès de l’alcoolisme, bonne, excellente en principe, mais accès de vertu par avance frappé d’impuissance, car les conditions de travail, de salaire, d’habitation, d’alimentation, de surmenage et d’incertitude dans lesquelles est condamnée à vivre la classe ouvrière sont une des causes évidentes de ce fléau dont les ravages sont si profonds, si terrifiants ; loi tendant à réduire le travail des femmes et des enfants dans les manufactures, fort incomplète, fort timorée, et combien d’autres ?

Mais où le travail de l’Assemblée est complet, exécuté « avec conscience », ne comporte pas de demi-mesures, c’est quand il s’agit de donner satisfaction aux d’Orléans réclamant à la France encore occupée par les armées étrangères, ayant à réparer les maux financiers de la guerre, à payer à l’Allemagne une note de cinq milliards, tous les biens confisqués par le décret impérial du 22 janvier 1852 : la bagatelle de quarante millions environ !

La propagande bonapartiste aurait sans doute largement profité de ce scandale si, le 9 janvier 1873, Napoléon III n’était mort, l’événement déjouant une conspiration ourdie et près de se dénouer par un coup de main, tentative que seule était capable de tenter une faction ayant toutes les audaces et comptant de sérieux, résolus alliés dans l’armée et les administrations publiques.

Parmi le désarroi des royalistes divisés par suite des déclarations très nettes du comte de Chambord, le désarroi des bonapartistes qui allaient se diviser en deux camps violemment adverses, parmi les manœuvres désordonnées de la majorité de l’Assemblée nationale, un parti, le parti clérical poursuivait sa campagne contre la République, prêt, du reste, suivant sa tradition, à se rallier, à appuyer l’élément conservateur qui conquerrait le plus de chance de succès.

Ce qui lui importait, c’était de grouper autour de lui toutes les forces catholiques ; le ralliement sur le terrain purement religieux ferait de lui l’arbitre de la situation et son arbitrage il le ferait chèrement payer. En d’autres temps, la manœuvre par lui adoptée eût été d’une grande habileté. Tout son effort porta sur la situation du Pape Pie IX, depuis l’occupation de Rome par les troupes italiennes. Le Pape, tout en restant le chef de la chrétienté, était découronné comme roi temporel ; il était prisonnier au Vatican ! Cela était-il tolérable ? Et les chaires retentissaient et la presse catholique s’emplissait de tableaux lamentables, bien faits pour apitoyer les âmes catholiques sensibles, les femmes d’abord ; par les femmes les hommes seraient ensuite entraînés dans un grand mouvement de filiale pitié et de pieuse protestation. Une telle abomination ne se pouvait tolérer par la France catholique, par la « fille aînée de l’Église » qui, par deux fois, sous la République et sous l’Empire avait fait des expéditions