Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/109

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l’Assemblée générale des Sociétés savantes ; il avait commis le crime impardonnable de faire remonter à M. Thiers tout l’honneur de la libération du territoire. M. Buffet avait saisi la balle au bond ; il en profita pour démontrer à ceux qui l’avaient élu président qu’il avait grand souci de « leur dignité », des prérogatives de l’Assemblée nationale. Il s’empressa de déclarer que si le Gouvernement ne désavouait pas, sans retard et officiellement, le discours du ministre de l’Instruction publique, il considérerait de son devoir le plus strict de convoquer l’Assemblée. Grand émoi dans tous les camps, car, dans tous, on pressent qu’une bataille décisive se prépare et va bientôt se livrer, maintenant que le territoire est libéré. Que sortira-t-il de cette rencontre ? Une Restauration ou le maintien de la République, car l’Assemblée est devenue Constituante et est décidée à ne se séparer, à se dissoudre, que quand elle aura déterminé la forme définitive du Gouvernement.

La Commission de permanence se réunit et se préoccupe d’une interpellation sur la politique générale ; au cours d’une séance du Cabinet, une scène très vive a lieu ; des explications amères, véhémentes s’échangent ; le ministre de l’Intérieur, M. de Goulard, qui ne cherche qu’une occasion de reprendre, parmi ses collègues de Droite, sa place de combat, abandonne son portefeuille, désavouant hautement M. Jules Simon qui, lui-même, est démissionnaire le 16 mai. La situation est grave ; tout autorise à prévoir que M. Thiers, malgré toute son habileté, ne pourra résister au premier choc et l’on s’occupe de lui trouver un successeur. Pressenti par certains, le duc d’Aumale accepte, le cas échéant, d’être candidat à la présidence de la République, d’où fureur et menaces des légitimistes intransigeants ; le maréchal de Mac-Mahon reçoit les offres du plus fort contingent ; il hésite, mais finit par se tenir à la disposition des conjurés, consacrant par cette attitude les remerciements émus qu’il a adressés au chef du pouvoir exécutif, pour ce qu’il lui a « rendu son honneur militaire » si gravement compromis à Sedan, en lui confiant le commandement de l’armée de Versailles. Singulière façon d’envisager l’honneur que de le considérer restauré par une victoire sur des Français après avoir été entamé par des défaites infligées par l’ennemi, l’envahisseur de la patrie ! A défaut du duc de Magenta, on avait songé au vieux maréchal Baraguay-d’Hilliers, mais nul, si ce n’est lui-même, n’avait pensé au général Changarnier qui, cependant, s’était exténué en offres de services ; il avait paru vraiment trop ridicule, même aux de Lorgeril, aux Dutemple et autres fantoches de la Droite.

L’accord se fit promptement entre les conjurés, les bonapartistes ne voyant pas d’un mauvais œil la candidature éventuelle du maréchal de Mac-Mahon.

De son côté, M. Thiers avait compris qu’il n’avait pas une journée à perdre, pas une faute à commettre ; aussi bien avait-il maintenant la sensation très nette que la partie était pour lui sinon perdue du moins gravement compromise. Il lui fallait prendre position et là était la difficulté, car, jusqu’à ce jour,