Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/116

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les vives inquiétudes inspirées par la chute de M. Thiers, pour comprendre que de graves griefs furent oubliés quand elle se produisit.

Ce ne sera pas, du reste, la dernière fois que se formera, dans un but passager de défense, la concentration de toutes les forces républicaines.

Ce qui était pour particulièrement alarmer l’opinion et faire naître les plus grandes défiances, c’était l’arrivée au pouvoir suprême d’un soldat, le maréchal de Mac-Mahon aux yeux des plus optimistes représentant le parti militaire, la vieille armée impériale qui avait si bien soutenu le régime issu du coup d’État de décembre et si déplorablement défendu la France contre l’invasion étrangère. Quelle attitude allait-il prendre, lui qui venait d’être choisi par une coalition en mal de restauration monarchique ? Allait-on se trouver en présence d’un nouveau Monck qui préparerait la voie à un prétendant, puis l’aiderait à monter sur le trône ? Serait-il l’agent actif ou passif de ceux qui venaient de l’élire ?

Sans compter ces hypothèses, sources d’inquiétudes, une autre appréhension, aussi grave, aussi intense naissait. Le représentant de l’armée vaincue, deux fois vaincu lui-même dès le début de la guerre, incarnerait-il l’orientation vers une prochaine, la plus prochaine revanche ? Quelle ligne de conduite adopterait l’Allemagne contre la France en prévision d’une politique belliqueuse ? Or, le pays tout entier voulait la paix, et l’inquiétude gagnait même les masses fidèles aux conservateurs.

Cependant, à bien réfléchir, il semblait que, quoique très conservateur, très clérical, très militaire, le maréchal de Mac-Mahon ne pouvait se prêter à toutes les combinaisons politiques de ceux qui, faute de mieux, venaient de le porter au pouvoir. Soldat médiocre comme général en chef, il avait le sentiment de son incapacité militaire, incapacité qui n’excluait naturellement pas une réelle bravoure ; ce sentiment il l’avait tellement vivace qu’il l’avait manifesté, alors qu’au camp de Chalons, surtout après les deux premières journées de marche, il avait proposé de ramener l’armée sur Paris, au lieu de la porter vers Metz par Verdun. Il avait compris qu’il n’était pas de taille à conduire stratégiquement et tactiquement 120,000 hommes contre l’ennemi dirigé par un état-major habile, entraîné et déjà encouragé par d’importants succès. Il ne se décida à marcher de l’avant que sur des ordres formels. La blessure reçue, dès la première phase de la bataille de Sedan, l’avait sauvé de la signature d’une douloureuse capitulation.

Un acte était aussi pour frapper, car il forma un contraste vraiment violent avec l’attitude générale de tous les personnages civils ou militaires qui faisaient assaut de servilité pour s’attirer les bonnes grâces de l’Empereur et de son entourage. Le général de Mac-Mahon, celui qui par sa crânerie tenace avait déterminé la prise de la Tour Malakoff, clé de Sébastopol, avait été nommé membre du Sénat. En 1858, alors que le général Espinasse, un des exécuteurs les plus audacieux et les plus féroces du Coup d’État, devenu