Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/118

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éphémère et rodée à un écroulement retentissant : M. Beulé. M. A. Ranc, dans ses si intéressantes, si piquantes notes, véritables feuilles de route de Bordeaux à Versailles, conte l’anecdote suivante : « Le 26 ou le 27 mai, le rédacteur en chef du Journal de Paris, M. Hervé, rencontrant un de nos amis, lui tint en propres termes ce langage : « Il y a dans le ministère, sans parler du duc de Broglie, un homme d’État de premier ordre ; vous verrez, ce sera une révélation ! » ― « Qui donc ça, » répondit notre ami, légèrement interloqué, La Bouillerie ?

« Ne plaisantez pas, reprit Edouard Hervé de son ton le plus sérieux, c’est de Beulé que je veux parler ! »

M. Beulé qui, à juste titre, avait conquis, dans les milieux littéraires et académiques, la réputation d’homme disert, d’historien érudit, original, de fin lettré, devait faire de rapides débuts ; ils eurent un retentissement que n’attendaient ni le chef du cabinet ni M. Hervé, ni le cénacle précieux de ses admirateurs et admiratrices.

La tâche, il faut en convenir, n’était pas aisée. Le nouveau ministre était par avance condamné à l’impuissance en matière de politique constitutionnelle ; il était le reflet exact des différents partis politiques dont la coalition formait la majorité de l’Assemblée ; partis unis contre la République et ses conséquences les plus modérées, mais toujours prêts à se heurter dès que se présentait une résolution sur la forme définitive à donner au gouvernement de la France. Tous les projets de fusion entre la branche aînée et la branche cadette des Bourbons avaient échoué et le parti bonapartiste ne se montrait pas disposé à une restauration qui l’aurait rejeté au dernier plan, dans l’opposition. Il fallait donc se résigner à une politique terre-à-terre, de détails, d’expédients et de luttes contre les progrès du parti républicain ; à un changement, ou pour mieux dire, à une « épuration » du personnel administratif ; à peupler tous les postes de créatures dévouées et travailler la matière électorale pour tenter de reconquérir les sièges perdus. À la hauteur de cette basse besogne, le cabinet ne devait même pas être capable de s’élever.

Dès son installation, M. Beulé lança deux circulaires aux préfets, l’une devait rester secrète, l’autre était destinée à la publicité ; elle devait, selon une formule déjà connue « rassurer les bons et faire trembler les méchants » ; n’était autre, en réalité, que des instructions en vue de l’organisation de la candidature officielle, à chaque fois qu’une élection se présenterait ; pour des élections générales, le cas échéant, quoique l’Assemblée ne manifestât aucune velléité de se dissoudre, de se rendre au vœu nettement formulé de l’opinion publique. Cette circulaire provoqua dans la presse républicaine de fort énergiques protestations. Quant à la première, elle devait se révéler dans des circonstances telles qu’il est utile de les rappeler.

Le général Ladmirault, qui, en qualité de gouverneur de Paris placé sous le régime de l’état de siège, était le véritable maître de la presse et usait