Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’Assemblée qui se retira avec éclat des obsèques civiles du député républicain Brousses ; au cours de la discussion sur les aumôniers militaires ; au cours surtout du mémorable débat sur la loi autorisant, comme d’utilité publique, sur la demande de l’archevêque de Paris, la construction de la basilique de Montmartre qui, aujourd’hui, se dresse, dominant Paris, comme Bastille catholique ! Partout la Marseillaise était interdite, mais partout retentissaient de stupides cantiques en l’honneur de Rome, du Sacré-Cœur et de la Foi. Au cours de ces discussions, on assista au spectacle édifiant de protestants tellement emportés par la haine du progrès, de la République et de la libre-pensée, qu’ils confondirent leurs votes avec ceux des papistes les plus acharnés. O Luther !

Au cours de la discussion de cette loi si prodigieuse, dont les effets se font toujours sentir, puisque la basilique tache encore la butte Montmartre, un député de Paris, M. Corbon, prononça un discours dont il importe de détacher le passage suivant, fort exact : « Soit, déclara-t-il, votre basilique sera votée, elle sera bâtie ; vous y ferez des manifestations catholiques. Eh bien, moi qui connais le sentiment de la population parisienne, moi qui suis comme elle atteint de la pestilence révolutionnaire, je vous déclare que cette population sera plus scandalisée qu’édifiée de votre foi tapageuse. Moi qui suis du peuple de Paris, je vous déclare que, loin de l’édifier, vous le pousserez vers la libre-pensée, vers la révolution. Oui, je vous en sais gré, vous vous perdez ! Cela, il est vrai, vous regarde !

« Certes, si vos manifestations demeuraient purement chrétiennes, le peuple de Paris en serait touché, mais quand il voit faire ces manifestations à des partisans de la monarchie, à des ennemis de la Révolution, il se dit que le catholicisme et la monarchie sont solidaires, et repoussant l’une il repousse l’autre. Oui, entre le retour à la monarchie et le catholicisme, vous avez fait un lien de solidarité qui perdra la religion et la monarchie. C’est l’avis d’un sage ennemi que je vous donne ; tout ce que vous ferez dans le sens du projet de loi, en appelant le parti militant de l’Église à venir manifester une foi bruyante, tournera contre l’Église et au profit de la Révolution, ce dont je me réjouis profondément ! »

Après cette débauche, ce déchaînement de cléricalisme qui se prolongea durant plusieurs années, sans pitié pour les idées les plus anodines de libre-pensée ou de républicanisme, on se demande avec stupeur comment, dès ses premières victoires, le parti républicain montra tant de longanimité vis-à-vis des pires adversaires de tout progrès politique et social. Il faut se hâter d’ajouter que la grande masse des dirigeants du parti comptaient à leur tour se servir du clergé comme d’un collaborateur puissant pour maintenir la classe ouvrière dans le respect de tout ce qui touche à la conservation sociale. Ce ne sera que quand il ne pourra plus résister à l’impérieuse, pressante pression de l’opinion publique inquiétée, exaspérée par l’attitude irréductible du clergé qui,