Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/133

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les phases essentielles. Il convient cependant d’y revenir et d’y insister, car c’est là une nation dont l’influence sur la politique mondiale devient prépondérante, tandis que son développement intérieur prête aux observations les plus intéressantes.

À larges traits, comme il nous était permis, nous avons indiqué comment son unité longuement préparée depuis 1806, depuis le lendemain du désastre militaire d’Iéna, était déjà accomplie au point de vue économique, avant de se réaliser par la force des armes, au point de vue national. La solution de problèmes communs d’intérêt matériel avait puissamment aidé à apaiser des questions délicates, sources de permanents conflits, telles que celles touchant au particularisme traditionnel, aux divergences confessionnelles. Il n’y a plus qu’une Allemagne, toujours prête à combattre l’Erbfeind, l’ennemi héréditaire, mais soucieuse du repos et de la paix. Le désir, l’impérieux besoin de vivre ont amené la convergence, l’assemblage en un grand organisme d’éléments d’apparence disparates, antagoniques. Malgré des résistances qui s’accusent alors que la cellule centrale, la Prusse, devient trop absorbante, cet organisme désormais fonctionne normalement. Sans doute, de même qu’il a ressenti des crises inévitables de croissance, ressentira-t-il des crises d’évolution : les unes ne seront que passagères, les autres seront durables, permanentes, car elles tiennent à des causes économiques et sociales.

Le méthodique, prodigieux effort qui a porté l’Allemagne au premier plan économique, a eu pour objet l’industrie et le commerce qui s’y rapportent. C’est vers l’industrie et le commerce que se sont orientés les capitaux du pays et ceux de l’étranger, alléchés par les profits qu’ils comptent y rencontrer. De cette orientation est résulté un véritable drainage de la majeure partie des capitaux, au détriment de l’agriculture, encore placée sous le régime féodal, et c’est une lutte active, incessante, âpre, qui s’engage entre les détenteurs de la propriété foncière et le monde industriel. Un parti politico-agrarien, jouant son rôle d’appoint au Reichstag, tout en restant fermement attaché aux vieilles traditions monarchiques et féodales, dressera — sans en tirer, naturellement, les mêmes conclusions — contre la féodalité industrielle, commerciale et financière, des réquisitoires aussi violents que ceux des socialistes.

Malgré les deuils que lui ont valus la guerre — les lauriers de la victoire masquent mal de cruelles épines — la nation allemande est enivrée de ses succès militaires ; le souvenir d’Iéna est effacé ; elle traverse une période d’incontestable prospérité. C’est un épanouissement inespéré. Tout un peuple, éduqué dans ce but, s’est levé pour la défense de la patrie menacée ; l’enthousiasme des premières heures n’a pas été sans de poignantes angoisses. Pouvait-on prévoir un ennemi aussi peu préparé, aussi lamentablement organisé ? Toutefois, malgré leur supériorité numérique, leur artillerie redoutable, leur grand état-major merveilleux, les forces allemandes solidement organisées, instruites, entraînées, ont rencontré des résistances énergiques, un instant