Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Sénat en se plaçant sur le terrain des principes. Quelle attitude allaient-ils prendre maintenant qu’ils avaient tous voté l’amendement Wallon qui stipulait que le président de la République gouvernerait avec deux Chambres ! La logique les condamnait à voter le principe de la loi et à faire des efforts pour que le Sénat, dans sa composition, fut le plus républicain ou du moins le moins monarchiste possible.

Un amendement présenté par M. Pascal Duprat exprima cette tentative ; il disait : « Le Sénat est électif. Il est nommé par les mêmes électeurs que la Chambre des députés ». Il n’y eût pas de débat, mais ce ne fut qu’après deux épreuves, à mains levées, fort douteuses, et après un scrutin public qui donna lieu à pointage, que cet amendement fut adopté par 322 voix contre 310. C’était une victoire républicaine et elle fut accueillie par les gauches avec un grand enthousiasme. La droite qui sur cette question s’était divisée, les bonapartistes ayant voté l’amendement et les légitimistes s’étant abstenus, se trouva fort désemparée ; la Commission voyait son projet s’en aller à la dérive et le pouvoir exécutif recevait une rude atteinte. En effet, rien n’était plus illogique que ce vote ; pour les républicains qui y voyaient un correctif à la création de deux Chambres, n’était-il pas contradictoire de les voir décider la création de deux Chambres recrutées de la même façon et exposées, naturellement, à se trouver en conflit ; conflit entre représentants directs du suffrage universel ! Pour les monarchistes et les partisans du septennat, l’adoption de l’amendement mettait le pouvoir exécutif, le maréchal-président, en présence de Chambres pour ainsi dire identiques ; sur laquelle pourrait-il s’appuyer en cas de désaccord profond avec l’une d’elles ? C’était dès lors le conflit avec le pays lui-même ! Situation vraiment singulière, vraiment délicate. Aussi le vice-président du Conseil, fit-il une déclaration fort nette, non pas une déclaration ministérielle mais exprimant la pensée même du maréchal de Mac-Mahon. Elle était catégorique, elle laissait même, sous sa forme parlementaire, percer la menace d’une crise grave.

« Messieurs, dit-il, le Président de la République n’a pas cru devoir nous autoriser à intervenir dans la suite de cette discussion. Il lui a paru, en effet, que votre dernier vote dénaturait l’institution sur laquelle vous êtes appelés à statuer et enlevait ainsi à l’ensemble des lois constitutionnelles le caractère qu’elles ne sauraient perdre sans compromettre les intérêts conservateurs. Le gouvernement qui ne peut en déserter la défense, ne saurait donc s’associer aux résolutions prises dans votre dernière séance. Il croit devoir vous en prévenir avant qu’elles puissent devenir définitives. »

Dès lors, c’est le désarroi complet ; les amendements se succèdent, mais la Commission semble avoir disparu ; l’Assemblée ressemble à un navire qui a perdu boussole, gouvernait et pilote en pleine tempête. On adopte un amendement de M. Bardoux, donnant le scrutin de la liste comme mode de votation pour le Sénat ; joint à la proposition de M. Pascal Duprat, il constitue un article qui