Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et de démocratie ; nous vous avons donné le droit de dissolution, et sur qui ? Sur la nation elle-même, au lendemain du jour où elle aurait rendu son verdict ! […] le Cabinet s’est précipité chez le maréchal et il en est revenu avec une déclaration. Il vous l’a lue ; l’a-t-il commentée, expliquée ? a-t-il apporté un argument, une raison politique ? Non, il s’est caché derrière et il vous a fait voter !

« Et maintenant voici ce que j’ai à vous dire : Je sais — pardonnez-moi de froisser vos illusions — je sais qu’il en est encore parmi vous qui poussent cet esprit de sagesse et de transaction politique jusqu’à l’héroïsme et qui croient pouvoir encore rencontrer dans des rangs où rien de solide ne s’est présenté des auxiliaires pour cette œuvre impossible ; oui, je le sais. Eh bien, expérimentez vos illusions, la déception ne tardera pas à venir. Jusqu’à présent nous vous avons donné des gages — je l’ai dit et je le maintiens — plus tard on nous jugera, et on nous jugera moins sévèrement, malgré les fautes que nous avons pu commettre, que vous ne serez jugés vous-mêmes. Plus tard on dira que nous avez manqué la seule occasion peut-être de faire une République ferme, légale et modérée ».

Comme nous l’avons déjà dit, l’impression causée par ce discours fut profonde, même sur la droite qui comprit que le pays ratifierait le jugement porté par M. Gambetta. Ce discours, d’une grande habileté sous sa forme véhémente, disait aussi les secrètes pensées du tribun. Il avait parlé de « l’occasion de faire une République ferme, légale et modérée », la République qu’il rêvait conservatrice, car c’était vraiment un conservateur républicain, adversaire du socialisme, estimant que certaines satisfactions données à la toute petite bourgeoisie et aux travailleurs suffiraient largement à leur faire prendre en patience leurs souffrances, leurs misères. Et, sans doute, considérée dans son ensemble, la bourgeoisie française commit-elle à cette époque, par l’organe de ses représentants, une série de fautes capitales en ne mettant pas de côté ses vaines divergences politiques pour se grouper, sous l’étiquette républicaine, en un parti solide, uni, résolu à aborder et à résoudre quelques problèmes destinés à donner certaines satisfactions à la classe ouvrière, c’est-à-dire à créer à son profit, pour la défense plus aisée de ses intérêts économiques et sociaux, de véritables soupapes de sûreté. Ne trouve-t-on pas quotidiennement, dans les Conseils d’administration des sociétés financières, des grandes ou moyennes entreprises industrielles, côte à côte, fraternellement unis pour la culture intensive de leurs capitaux, pour l’exploitation de ceux qui effectivement les mettent en valeur, descendants de croisés, petits-fils de chouans et d’émigrés, petits-fils de « bleus » et bonapartistes de marque ?

Le général de Chabaud-Latour répondit à l’orateur de la gauche ; il se montra moins arrogant, moins sec que le duc Decazes ; il parut même à certains trop conciliant : « Nous ne pouvons que voir surgir avec sympathie,