Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/206

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régime impérial. Elle croit avoir le droit de compter sur l’armée dont les grands chefs sont loin de professer des sentiments démocratiques ; elle commet une grande erreur, car l’esprit des troupes s’est déjà profondément transformé, les événements ne tarderont pas à le démontrer. La réaction compte avant tout sur le chef du pouvoir exécutif dont elle connait la ferme résolution de s’opposer aux progrès, aux entreprises de la « démagogie » qui, pour le maréchal de Mac-Mahon, commence avec le centre-gauche ! C’est dans de telles conditions que s’inaugure la République parlementaire.

Le premier choc eût lieu à la Chambre des députés à propos de la validation des élections. La pression administrative avait été forte, fréquemment par trop impudente, et le clergé s’en était mêlé avec une grande ardeur. 18 députés de droite furent invalidés, entre autre M. Rouher qui avait été élu en Corse et qui devait être, en mai, remplacé par le prince Jérôme Bonaparte. L’élection qui provoqua le plus vif et le plus intéressant débat fut celle du comte de Mun, dont M. H. Brisson était le rapporteur, réclamant une enquête, en raison de l’intervention du clergé ; de l’évêque de Vannes surtout. Le comte de Mun, qui se révéla un orateur de premier plan, défendit son élection, affirmant hautement le droit pour l’Église d’intervenir. Gambetta prit la parole pour appuyer la demande d’enquête, déclarant qu’il n’avait pas l’intention de combattre la religion, mais bien l’intervention du clergé dans la politique où il ne pouvait que se compromettre. L’enquête fut votée. À la suite de cette enquête le comte de Mun fut invalidé, mais il fut réélu.

Deux propositions d’amnistie furent déposées pour ainsi dire simultanément par Victor Hugo au Sénat, par F.-V. Raspail à la Chambre. M. Gambetta n’avait pas signé. L’urgence fut votée, sur la demande du gouvernement, mais la discussion en fut ajournée à la session suivante ; elle devait être repoussée ; on se borna à faire appel à la « large clémence » du maréchal. Décidément, la droite et une partie de la gauche ne pouvaient se résigner à oublier la peur que leur avait causée la Révolution du 18 mars. Le fait le plus marquant de cette première session fut sans contredit l’élection de M. Gambetta comme président de la Commission du budget. Malgré le discours fort modéré qu’il prononça en prenant possession de la présidence, cette élection causa une vive émotion parmi la camarilla de l’Élysée et le maréchal en manifesta plus que de la surprise, de l’irritation. Cependant, les hostilités ne devaient pas encore prendre un caractère aigu. Il importait de démontrer à l’Europe que la France, si elle n’avait pu encore panser toutes ses plaies, réparer tous les maux causés par des désastres militaires, n’en avait pas moins reconquis une grande vitalité ; qu’elle était redevenue assez forte pour reprendre sa place dans le concert des puissances européennes ; puis il fallait lui inspirer confiance en elle-même ; une Exposition universelle était décidée et devait s’ouvrir le 1er Mai 1878. Dans le rapport adressé par M. Teisserenc de Bort au président de la République, se détachait cette phrase : « En annonçant au monde la