Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/268

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ce rapprochement entre la République française et le gouvernement le plus rétrograde et le plus oppressif de l’Europe.

A son retour, l’escadre française fut invitée par le gouvernement anglais à pénétrer dans la rade de Spithead où de magnifiques fêtes lui furent données. Les chauvins qui avaient trouvé tout naturel que les anciens adversaires de 1814 et de 1854 oublient leurs vieilles querelles à main armée, ne manquèrent pas de violemment s’indigner du rapprochement de la France et de l’Angleterre !

Dès les débuts de l’année 1892, le ministère de Freycinet tomba. Un projet de loi avait été déposé sur les associations et l’urgence avait été réclamée avec ce caractère bien net qu’il en fallait considérer l’adoption comme une indication en faveur de la Séparation de l’Église et de l’État. M. de Freycinet combattit l’urgence étant donné sa signification, mais la Chambre manifesta un avis tout contraire. Le 27 février, M. Loubet constituait le nouveau ministère qui ne subissait pas de profondes modifications. Toutefois, M. Ricard remplaçait M. Fallières à la justice et M. Cavaignac M. Barbey à la Marine.

La déclaration ministérielle ne présentait guère de nouveautés sensationnelles, mais elle se prononçait nettement contre la Séparation de l’Église et de l’État, estimant qu’il n’y avait ni dans la Chambre ni dans le pays une majorité pour l’accomplir ! Elle insistait aussi sur les projets de loi déjà déposés « concernant l’amélioration du sort des travailleurs », tels que la réglementation du travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels ; le droit à l’indemnité pour les ouvriers victimes d’un accident dans leur travail ; l’arbitrage dans les différends entre patrons et ouvriers, la loi sur l’hygiène et la sécurité des ateliers, les caisses d’épargne, les retraites ouvrières.

Cette partie du programme causa peu d’impression parmi les travailleurs qui savaient bien, par une longue et douloureuse expérience, qu’entre un programme ministériel et les maigres réalités qu’il annonce il y a trop souvent un abîme.

Le nouveau ministère s’était résolument prononcé contre toute séparation de l’Église et de l’État et pour l’application la plus stricte du Concordat ; dès ses débuts, c’est une question posée par l’audace des cléricaux qu’il allait avoir à traiter.

Le pape Léon XIII, avisé, observateur, semblait se départir de l’intransigeance de son prédécesseur. Il avait compris — les événements qui avaient marqué le développement et la défaite du boulangisme, le rôle important qu’y avait joué le clergé le lui avaient surabondamment démontré — que l’Église de France, à persister dans son attitude d’hostilité aux institutions consacrées par le suffrage universel, risquait gros jeu. Il devenait dangereux pour elle de continuer une lutte au cours de laquelle elle serait vaincue, il conseillait la soumission au moins apparente, le respect de la légalité et des pouvoirs