Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/272

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sans doute réalisait-elle un progrès, mais non celui qu’attendaient les travailleurs dont les familles étaient vouées au plus douloureux destin.

En l’année 1892, la bourgeoisie républicaine, qui combattait avec la plus vive ardeur le parti socialiste, célébra, en une solennelle cérémonie au Panthéon, la commémoration de l’établissement de la République en 1792. Dans les discours qui furent prononcés par les présidents de la Chambre (M. Floquet) et du Sénat (M. Challemel-Lacour) furent mis en lumière les efforts prodigieux prodigués de 1789 à 1792, furent célébrées les grandes journées durant lesquelles le droit ne triompha que grâce à l’appui de la force révolutionnaire, mais dans ces discours il fut déclaré aussi que l’ère des révolutions devait être considérée comme définitivement close chez nous. C’était un avertissement donné au peuple ; il considérait surtout ces fêtes, ces évocations des grands jours, comme de véritables leçons de choses.

Comme pour bien établir, par des faits indéniables, quels fruits maigres, amers, la classe ouvrière a cueillis depuis la Révolution, entre tant d’autres faits significatifs, une grève formidable éclatait à Carmaux où, en 1891, la municipalité avait été conquise par les socialistes ; le citoyen Calvignac, secrétaire du syndicat des mineurs avait été élu maire. Cette élection avait préparé, amorcé le conflit qui allait surgir et provoquer partout un magnifique élan de solidarité. Tout fut mis en œuvre par l’administration de la Compagnie minière pour placer le nouveau maire dans l’impossibilité d’accomplir son mandat. M. le baron Reille était président du Conseil d’administration, il était député et avait pour collègue, dans la circonscription d’Albi, son gendre, le marquis de Solages ; ils ne pouvaient se faire à cette idée que là où ils étaient les maîtres au point de vue économique, ils ne le seraient plus au point de vue politique et ils congédièrent le citoyen Calvignac. Cette mesure constituait un véritable acte de provocation ; il excita l’indignation des mineurs qui se mirent en grève et se virent appuyés, suivis, par les métallurgistes et les verriers.

La lutte prit immédiatement un caractère très grave : elle devait se prolonger durant deux mois et demi, déterminant l’envoi de troupes nombreuses. Propagandistes et députés socialistes et mêmes radicaux, tel M. Clemenceau, se rendirent parmi les grévistes pour les encourager et soutenir leurs droits ; dans toute la France des réunions et des souscriptions s’organisèrent et, enfin, une interpellation porta la question à la tribune de la Chambre. Du débat se dégagea la nécessité d’un arbitrage et M. Loubet, président du Conseil, accepta d’être l’arbitre. Après avoir entendu les représentants de la Compagnie et les délégués des grévistes, MM. Millerand, Clemenceau et Pelletan, il rendit sa sentence qui donnait tort et raison à la fois aux deux parties en présence. Les ouvriers congédiés devaient être réintégrés ainsi que le citoyen Calvignac à qui ses fonctions de maire seraient rendues possibles ; de la réintégration devaient être exclus les travailleurs condamnés par le tribunal d’Albi ; enfin, le directeur de la Compagnie, M. Humblot, dont le renvoi était réclamé, devait