Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/280

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républicain, gagné à la cause révisionniste, la tentative offrait peu de chances de succès : les régiments se seraient fondus avant d’avoir atteint la place de la Bastille. M. Paul Déroulède et son fidèle lieutenant M. Marcel Habert furent arrêtés. Ils devaient être acquittés par la Cour d’assises de la Seine ! Alors que la France un instant profondément troublée, se ressaisissait et qu’aux élections générales de 1898 elle se manifestait révisionniste, Paris s’affolait comme cela lui était advenu durant l’aventure boulangiste. Des manifestations tumultueuses s’agitaient autour des procès qui se déroulèrent et marquaient les perplexités, les hésitations des gouvernements qui se succédaient. Il importait, pour la tranquillité générale, pour le salut de la République encore menacée, de prendre de suprêmes et décisives résolutions.

Dans les derniers jours du mois de mai 1899, la Cour de cassation, toutes chambres réunies, ouvrait le procès en révision ; le 3 juin, elle rendait son arrêt et le capitaine Dreyfus était renvoyé devant le conseil de guerre de Rennes pour être jugé de nouveau. Un navire de guerre fut envoyé à l’île du Diable pour chercher l’officier innocent déporté et soumis aux pires mais illégales rigueurs d’une cruelle captivité.

Ces mesures destinées à réparer une monstrueuse iniquité et à mettre en lumière de hautes et nombreuses culpabilités, portèrent à son comble l’exaspération de la coalition nationaliste qui, sur le champ de courses d’Auteuil, se livra le 4 juin, à de scandaleuses manifestations ; un énergumène, le baron Christiani, s’oublia, dans un accès de véritable délire, jusqu’à frapper de sa canne le président de la République. La foule protesta par ses acclamations contre l’attitude des nationalistes ; les Chambres, le Conseil municipal de Paria élevèrent de solennelles protestations contre de tels agissements et tout le monde comprit qu’il n’était que temps de réprimer avec décision un mouvement qui paraissait désormais plus dangereux que le mouvement boulangiste.

Il apparaissait aux yeux des moins prévenus contre lui que le président du conseil, M. Charles Dupuy, n’avait pas bougé à prendre les plus élémentaires précautions pour protéger le nouveau Président de la République, alors que tout était pour indiquer que les nationalistes ne manqueraient pas cette occasion de manifester leurs sentiments. Le 12 juin, la Chambre, par un ordre du jour précis déposé par MM. Ruau et de Laporte, donna son congé au cabinet. Cet ordre du jour était ainsi conçu : « La chambre résolue à ne soutenir qu’un gouvernement décidé à défendre avec énergie les institutions républicaines et à assurer l’ordre public, passe à l’ordre du jour ».

C’est à ces préoccupations que fut due la constitution du ministère Waldeck-Rousseau.

Ce ne fut pas sans peine que la crise ministérielle fut dénouée ; le 26 juin seulement le nouveau cabinet put se présenter devant le Parlement.

Le Président de la République avait d’abord appelé M. Poincaré que sa situation parlementaire, assez indécise du reste, semblait désigner pour former