Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’installa à l’Hôtel-de-Ville ; tel événement ne s’était pas produit au lendemain funeste de la victoire de Versailles sur la révolution du 18 Mars. Seul, le parti socialiste sortit à peu près indemne de cette débâcle ; c’est qu’en outre de son programme très net, très précis, très affirmatif qui lui recrutait des adhérents de plus en plus nombreuses dans la classe ouvrière et parmi la petite bourgeoisie qui souffre, parfois cruellement, de la répercussion des privilèges sociaux, il n’avait pas hésité à se prononcer hardiment dans l’affaire Dreyfus. Non seulement il avait affirmé la nécessité de procéder à la révision de l’inique procès basé sur des faux témoignages et des documents falsifiés ou fabriqués, mais il avait profité de cette occasion pour faire le procès de la société bourgeoise, de ses dessous ; pour révéler les manœuvres louches que masquait la coalition nationaliste. De son attitude franche, hardie, détachée de toute préoccupation immédiate, il recueillait les fruits. Il était le seul groupe du parti républicain qui conservait ses positions et il revenait à l’Hôtel de Ville plus ardent que jamais aux luttes socialistes, pour le prolétariat, aux luttes politiques contre la majorité formée de réacteurs résolus.

En province, dans les grandes villes, la lutte entre républicains socialistes et nationalistes fut très vive. Les socialistes restèrent maîtres à Lille et à Marseille ; à Lyon, Bourges, Reims, la victoire fut aux radicaux-socialistes et Bordeaux, l’ancienne municipalité, qui comptait des socialistes fut vaincue par une liste de « concentration républicaine ». Partout, les élections faites par le suffrage universel accusèrent les progrès du parti socialiste, poursuivant l’exécution d’une partie de son programme : la conquête du pouvoir politique dans la Commune.

Dans un discours prononcé à Digne, M. Joseph Reinach avait annoncé que l’affaire Dreyfus allait bientôt se rouvrir pour une révision complète et définitive. Il n’en fallait pas davantage pour émouvoir les esprits que venait de si vivement frapper la victoire remportée à Paris par les nationalistes, dont quelques succès avaient aussi marqué des élections au Conseil général de la Seine ; une interpellation eut lieu à la Chambre et il fut demandé au Gouvernement pour quels motifs il n’avait pas démenti les affirmations de M. Joseph Reinach. Dans la recrudescence de l’agitation, tous les ennemis de la République fondaient de grands espoirs ; toutefois, la possibilité d’une révision qui, cette fois, faite au grand jour, portail en pleine lumière tous les dessous criminels de l’« Affaire », n’était pas pour séduire les agités du parti nationaliste. Il fut réclamé au Cabinet de « s’opposer énergiquement à la reprise de l’affaire Dreyfus ». M. Waldeck-Rousseau répondit par un exposé de la situation du pays telle qu’elle se dégageait des récentes élections municipales. La victoire des républicains dans 24.632 communes disait hautement que le suffrage universel approuvait la politique de défense et d’action du Gouvernement. Les élections de Paris ne marquaient que la victoire éphémère « d’une coalition équivoque de réactionnaires et de républicains abusés ou