Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/45

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à haute tension que les réserves dans les périodes d'appel entreront en contact, mais avec une masse au travail lent et comme surchargé d'excroissances molles. Dès lors, toutes les bonnes volontés de la réserve, toutes les énergies alertes qu'il eût été facile d'éduquer et d'entraîner, viendront se perdre dans une armée active un peu somnolente, comme un vif ruisseau dans une mare. L'institution militaire actuelle n'est, pour l'active, qu'une forme d'éducation paresseuse, et, pour la réserve, qu'une force décourageante et neutralisante.

Le seul moyen de résoudre les difficultés et d'écarter les périls, le seul moyen de donner au pays pour sa défense l'éducation militaire la plus intense, la plus continue, la plus profonde, c'est de renoncer à la superstition du service de caserne, c'est de ne voir dans ce service qu'une école de recrues donnant au soldat, en quelques mois, les éléments nécessaires, et d'organiser sérieusement dans le pays même des unités organiques de combat, des compagnies à plein effectif qui pourront être convoquées périodiquement sur le territoire même où vivent les citoyens qui en font partie, et vigoureusement entraînées par des exercices énergiques et efficaces.

Pour quelles raisons donc ce système qui prélève inutilement sur la nation tant de forces jeunes et vives et qui ne sert vraiment ni à l'éducation des soldats ni à l'instruction des cadres, mais qui les contrarie et qui fait obstacle à la formation, dès le temps de paix, de vivantes unités de combat, comment donc et par quelle superstition ce système a-t-il pu se maintenir jusqu'ici ? C'est d'abord un effet de la routine. Depuis des générations, les armées, dans les grands États modernes, sont des armées de caserne. Il semble qu'il n'y ait d'armée permanente que là où il y a un rassemblement permanent d'hommes armés. Même quand on cède à la force du temps nouveau, même quand on est obligé, par le service obligatoire personnel et égal, d'affirmer le principe de la nation armée et d'incorporer des masses énormes qui doivent former la véritable