Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/61

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régime politique et social. À ce titre, la stratégie de la nation, comme son organisation politique et militaire, doit être soumise, non pas dans le détail de ses opérations, mais dans son principe, dans ses règles, dans ses méthodes, dans son objet, au contrôle de la nation. Il n'y a de défense nationale possible que si la nation y participe de son esprit comme de son cœur.

Tout autre sera la stratégie d'une politique défensive, tout autre la stratégie d'une politique offensive, tout autre encore et pleine de périls la stratégie ambiguë qui répondrait à une politique ambiguë, tiraillée de la défensive à l'offensive. Tout autre aussi sera la stratégie oligarchique et professionnelle qui ne comptera guère que sur l'armée de caserne et sur une faible part des réserves cousues à l'active, comme une méchante petite pièce d'étoffe à un drap solide ; tout autre la stratégie vraiment nationale et démocratique qui fera appel d'emblée à toutes les forces disponibles de la nation. Toutes ces questions, que le pays tout entier devrait connaître, débattre, résoudre, se débattent et se résolvent sans lui, hors de lui, peut-être contre lui. Peut-être, pendant qu'il s'habitue à abdiquer, pendant qu'il livre à des spécialistes ou à de prétendus spécialistes le soin de décider dans le secret, non seulement, je le répète, les détails, mais les règles mêmes de l'action nationale, peut-être les états-majors sont-ils occupés à abandonner, par esprit de système et par l'effet de doctrines surannées, un million de défenseurs ; peut-être renoncent-ils à l'emploi efficace des réserves, non point par impossibilité technique de manier d'aussi grandes masses, mais par préférence systématique pour les armées réduites, par hésitation paresseuse de l'esprit devant l'immense effort d'organisation et d'invention qu'exigerait la magnifique intensité de la défense nationale.

Un des effets du projet de réorganisation militaire que nous soumettons au Parlement et au pays, ce sera, en constituant vraiment la nation armée, dont nous n'avons encore qu'une faible et contradictoire ébauche, de poser en même