Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/110

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les lettres de son frère qu’il aurait utilisées pour ce bordereau.

C’est le document qui va le perdre, qui va perdre son frère ! et c’est justement ce document qu’il garde dans son buvard, quand l’opération est depuis longtemps finie !

Et l’homme qui commet cette folie est le polytechnicien calculateur et retors qui selon M. Bertillon a prévu tous les cas, toutes les formes possibles du danger, et qui a paré à tout !

Oui, l’homme qui, selon M. Bertillon, a craint que le bordereau fût saisi sur lui, à son domicile ou dans sa poche, et à qui ce danger de quelques minutes a paru si grand qu’il y a presque tout subordonné, ce même homme garde à son domicile, sur sa table de travail, d’avril en octobre, les lettres de son frère qui sont entrées comme éléments dans le bordereau ?

Qu’on réponde, ou qu’on essaie même de répondre. Mais M. Bertillon n’a pas même entrevu la contradiction misérable où il se heurtait, si Dreyfus est un étourdi, un imprévoyant, tout le système de démonstration psychologique de M. Bertillon tombe, puisqu’il suppose avant tout le profond esprit de calcul, de prévoyance et de dissimulation de Dreyfus.

Et si celui-ci est au contraire subtil, soupçonneux et minutieusement prudent comme l’exige le système, comment est-il possible qu’il laisse traîner ainsi, et qu’il réserve exprès pour le regard perçant du grand homme le document le plus dangereux pour lui ?

Incohérence de plus qui s’ajoute à toutes les incohérences de cette instruction fantastique, qui déconcerte toute pensée.


III

Mais encore, quel intérêt avait donc Dreyfus à utiliser ainsi pour le bordereau l’écriture de son frère ?

Ou bien l’écriture de Mathieu Dreyfus ressemblait à