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dans un rouge soleil de bataille, dans Paris pris d’assaut et livré au pillage de cent mille soldats ivres.

Voilà une fête que je rêve ! Ainsi soit-il.


II

Et l’homme qui écrit ces lettres appartient encore, comme officier, à l’armée française : il porte encore la croix de la Légion d’honneur qui a été arrachée Zola !

Mais ce n’est point ce scandale que je veux relever. Il suffit de noter que l’homme qui écrit de ce style ne doit pas répugner tout à fait à une besogne de trahison.

Aussi bien, malgré les allures romantiques de ses lettres et leur violence criarde, c’est un banditisme sans grandeur.

On ne devine pas en lui, quoi qu’il en dise, l’homme capable de grandes choses, même dans le mal. C’est plutôt un aventurier médiocre et vantard, un rastaquouère de trahison qui se contentera de passer à la caisse allemande, en livrant des documents quelconques, quand les créanciers seront trop exigeants ou que l’opération de Bourse aura manqué.

On sent toujours qu’il est à la veille d’un mauvais coup, et après avoir ruiné les siens par son désordre, il s’écrie, avec une vulgarité mélodramatique, qu’il est acculé au crime pour les sauver.

Voici ce qu’il écrit en février 1894, c’est-à-dire vers le temps où est envoyé le fameux bordereau :

Cette perte d’un héritage, que nous étions en droit de regarder comme assuré, et qui nous aurait sauvés, nous aurait permis de vivre, causée par l’intolérance stupide de cette famille sans cœur, la conduite inouïe de mon oncle, la santé de ma malheureuse femme, la destinée qui attend mes pauvres petites filles, et à laquelle je ne puis me soustraire que par un crime, tout cela est au-dessus des forces humaines.

À défaut de crime, c’est aux plus tristes expédients