Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/127

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Notez qu’à ce moment encore aucun lien entre l’affaire Dreyfus et l’affaire Esterhazy n’apparaissait. On savait que l’attaché militaire allemand, M. de Schwarzkoppen, ou un de ses agents, avait écrit une carte-lettre à Esterhazy et avait avec lui des relations suspectes. On savait qu’Esterhazy menait une vie de désordre et d’expédients qui justifiait tous les soupçons. On savait enfin qu’il recueillait le plus possible et faisait transcrire des documents militaires qui, dans sa vie d’agitation, n’avaient certainement pas pour lui un intérêt d’étude. On pouvait supposer dès lors qu’on se trouvait en face d’un cas de trahison.

Mais rien n’indiquait encore qu’Esterhazy fut coupable des faits pour lesquels Dreyfus avait été condamné : il semblait qu’une trahison Esterhazy venait s’ajouter à la trahison Dreyfus.

Rien ne laissait encore apparaître que la trahison Esterhazy devait être substituée à la trahison Dreyfus.

Aussi l’État-Major approuvait-il, à cette date, et encourageait-il le colonel Picquart.

Ayant ainsi averti ses chefs, celui-ci précisa ses recherches. Et tout d’abord un rapprochement saisissant s’offre à lui.

Un agent du service des renseignements avait appris qu’un officier livrait à une légation étrangère des documents déterminés. C’était, selon l’agent, un officier supérieur, un chef de bataillon, âgé d’environ cinquante ans. (C’est l’âge d’Esterhazy.) Or, c’étaient précisément ces documents qu’Esterhazy avait cherché à se procurer.


II

Mais voici le coup de foudre. Le colonel Picquart, comme il est d’usage dans toutes les enquêtes, se procure des spécimens de l’écriture d’Esterhazy.

Il est naturel, en effet, quand un officier est suspect